Lors de ma tournée matinale des blogs, je tombe sur cette question en l’air lancée par l’auteur de « les libraires se cachent pour mourir » : Quel est votre premier vrai souvenir de lecture?

Il n’y en a pas un, mais trois particulièrement marquants qui m’ont, je pense, défini en tant que lecteur. Fidèle lecteur, jolie lectrice, je suppose que tu ne seras pas surpris d’apprendre que mon premier « vrai » souvenir de lecture est une lecture de comic book (bien qu’en français, à l’époque, du coup). J’ai quatre ans, et dans moins d’un mois, ce sera mon anniversaire. Et comme beaucoup de petits garçons de quatre ans, je suis une épreuve du quotidien pour la patience de ma mère et de mon entourage. J’étais un petit garçon très capricieux avant cette première rencontre avec la lecture, et comme je ne savais pas encore m’occuper seul, je voulais qu’on s’occupe de moi. Je me souviens distinctement de cet arrêt dans une station service (du temps où le prix au litre, en francs, ne devait pas être loin des mêmes chiffres que le prix actuel en euros). Il y a beaucoup de monde dans la station, en ce jour de juin, et moi je n’aime pas attendre. Je pique donc une crise dans la station service, outré probablement que le monde entier ne s’intéresse pas à MOI. Et là, au lieu de me mettre une voiture mécanique dans les mains ou de me fourrer un bonbon dans la bouche, ma mère me tend « une bédé ». Strange N°174, du temps où les comics Marvel étaient (mal) traduits par les éditions Lug, avec Iron Man et Machine Man en couverture. Dedans, « L’Homme-Araignée » se bat contre un monstre qui ressemble à un gros paté de sable (une fusion entre Hydroman et Sandman « l’Homme-Sable »). Un aveugle déguisé en diable se bat contre des « méchants » pendant qu’une dame ninja en ROUGE fait de même en parallèle dans un autre entrepôt. Je suis fasciné. Ce livre, non seulement il y a des images, mais en plus il se passe des trucs (on est loin de Martine joue à Ainsi-Font-Font-Font), c’est comme un dessin animé sans avoir besoin d’allumer la télé. Et en plus j’apprends à lire (et je n’en suis pas peu fier, un an ou deux avant l’âge où ça devient obligatoire). Du coup, voyant que je ne pipe pas un mot avec le périodique dans les mains, ma mère a dû en payer le prix (8 francs et 10 centimes) les yeux fermés, peu cher pour un peu de calme. C’est là que mes caprices de petits enfants se sont un peu modifiés : plutôt que de réclamer des voitures ou un chapeau de cow boy, je réclamais mes « Strange ». Les « quatre fantastiques » par Kirby, et surtout les « nouveaux X-Men » dans Spécial Strange (le premier que j’ai eu en main c’est la traduction de Days of Future Past dans Spécial Strange 36, vous imaginez le choc !). Ma mère ou ma grand mère m’aidaient à les lire au début, mais je pense que la motivation d’être autonome avec mes comics a laaaaargement contribué a ma motivation à apprendre à lire VITE.

Le second souvenir marquant fut la transition vers des livres sans images. Mon père surtout, grand amateur de livres, devait désespérer de me voir me concentrer exclusivement sur « mes conneries » (son petit nom pour les comic books, encore à ce jour). Et il a essayé de me faire lire autre chose. Il négociait ses faveurs: si je me choisissais un « vrai » livre chez le bouquiniste-du-coin, j’avais le droit de prendre aussi quelques « conneries ». Mais il surveillerait le fait que je lise AUSSI les « vrais » livres. Alors j’en choisissais des petits, des fins, que je lisais en diagonale avant de me jeter sur le dernier Spidey ou le Strange Spécial Origines que j’avais réussi à mendier. Et puis un jour (là, le souvenir est moins précis… j’avais sept ans ? Huit ?) je suis tombé sur deux auteurs qui m’ont plu, mais VRAIMENT plu, même sans les images: Jules Verne et Agatha Christie. Curieusement, j’aurais énormément de mal à les relire aujourd’hui, étant relativement « mauvais client » de livres fantastiques/anticipation/sf et de polars maintenant. Mais à l’époque j’étais conquis, et j’ai dévoré tout Verne (mon père avait l’intégrale dans une jolie collection) et énormément de livres de Christie (Dix Petits Nègres qui m’a énormément marqué dans mon enfance, et tous les Hercule Poirot). Et pendant de nombreuses années, j’ai continué à lire des comics, mais je prenais également du plaisir à lire des livres sans images, même si j’étais principalement lecteur de fantastique à l’époque (les tomes des fourmis de Werber au rythme de leurs sorties, les gros pavés du cycle de Dune, etc.).

Le troisième et dernier souvenir marquant ayant forgé mon caractère de lecteur remonte à mon adolescence. Si j’avais entre temps ajouté beaucoup de poésie à mes lectures fantastique (Verlaine, Rimbaud, Poe, Byron et, obviously, Baudelaire), les romans que je lisait à l’époque avaient peu évolué en termes de style ou de thème. Et tomber sur des bouses infâmes comme l’Assomoir de Zola ou l’Or de Cendrars dans les lectures obligatoires des cours de français ne m’encourageait guère à passer à un registre plus « classique ». Mais en fin de troisième, juste avant les vacances, je me suis intéressé à un livre particulier par accident. En effet, dans la salle des cours de dessin, notre professeur avait recouvert les murs de… dessins (non, DÉCONNE???) mais aussi d’affiches de films, dont l’Effrontée avec Charlotte Gainsbourg, Noce Blanche avec Vanessa Paradis et… Les lunettes en coeur du Lolita de Kubrick (ce qui, je m’en rends compte aujourd’hui en écrivant ces lignes, est une sélection un peu tendancieuse, pour un prof de collège, quand même…). J’étais fan de cette affiche. A la fin de l’année, j’ai demandé au professeur de quoi ça parlait, et il m’a dit que c’était tiré d’un livre. Du coup j’ai emprunté ledit livre à la bibliothèque et je l’ai lu pendant les grandes vacances. Si beaucoup des subtilités et des références littéraires parsemées par Nabokov dans le libre me sont nécessairement passées au dessus lors de cette première lecture, j’ai reçu ce livre comme un coup de canon dans le ventre, et je n’ai plus jamais été le même lecteur. Je me suis rendu compte de la force de la littérature, de la beauté des mots même hors de la poésie, et du pouvoir d’utiliser un livre comme tremplin à idées ou piste de réflexion. Peu à peu, le fantastique a disparu de ma table de chevet (mais les comics, eux, sont restés) et j’ai diversifié et affiné mes goûts, testant un peu tout, parfois conquis (Proust, Stendhal), parfois répugné (Zola, Sartre!), mais toujours curieux et ouvert.

Si de nombreuses lectures et de nombreux livres ont laissé leur empreinte indélébile en moi ce sont ces trois souvenirs, plus que tout autre, qui ont fait de moi le lecteur que je suis aujourd’hui.

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La citation du jour: « Ah bin c’est dans cette salle que j’ai parlé à Juliette pour la première fois! »
La chanson du jour: It’s only make believe, Cock Robin, « My hopes, my dreams come true »

Même si mon professeur de dessin était un peu chelou, avec le recul, la vie est belle!