Ou: histoire de quelques bras virils, et le secret derrière mon nom

« Tears of the Night »… J’aime beaucoup le nom de mon blog, reliquat du nom d’un des groupes que j’avais monté dans mes années musique, qui a peu duré, et j’ai toujours trouvé que c’était dommage de faire sombrer à néant cette association de sons, de concepts et d’idées qui me plaisait beaucoup. Quand j’ai commencé à écrire publiquement, j’ai donc recyclé. Si le titre de ce blog – vous le comprendrez dans quelques paragraphes – est relativement bien adapté à cet article, ceux qui me connaissent bien savent qu’avant de publier mon tout premier article, j’ai longtemps hésité entre ce titre recyclé et un autre, en français celui là, écho d’une phrase qu’on entend souvent dans ma bouche: « Ma vie est un open-bar ». C’est sur ce second nom avorté, et non sur le premier, que je vais rebondir pour débuter cet article. Je m’excuse par avance de sa longueur, mais j’ai des choses difficiles à écrire, et elles ont besoin d’un contexte. Ceci est sans doute l’article le plus difficile que j’aie eu à écrire depuis que j’envoie mes mots mis en forme telles des bouteilles sur les océans du net. Mais si vous prenez le temps de lire cet article jusqu’au bout (#teaser, t’as vu comme je te clickbait… enfin readbait plutôt vu que t’as déjà cliqué) tu sauras enfin pourquoi je n’utilise plus mon patronyme de naissance depuis des années, et pourquoi un certain surnom m’horripile.

Un open bar, donc. La plupart de mes proches et moins proches qui me fréquentent le savent. Il est assez difficile de me vexer, et s’il y a quelques sujets que j’aborde peu de manière spontanée, il est de notoriété publique qu’en général lorsqu’on me pose une question, j’y réponds. Au pire, par « je n’ai pas envie de te répondre » (très rare) ou par un « je n’ai pas le temps de te répondre » (beaucoup plus fréquent, mais ce n’est que partie remise). Si je ne me considère pas comme marginal, il serait hypocrite de prétendre que je suis un individu qui correspond, ne serait-ce que de loin, au moule normatif de la société. En fait je crois que même quelqu’un bourré, de nuit, myope et sans lunettes arriverait encore à faire la différence entre un individu correspondant au moule normatif de la société et moi.

Quand mes proches, ou des gens qui me connaissent un peu sont en confiance, c’est donc souvent vers moi qu’ils se tournent pour parler de leurs problèmes ou poser des questions sur des thèmes aussi divers et variés que, allez, au hasard, la non-exclusivité, le sexe entre amis, les psychotropes, la foi païenne, les comics, la bisexualité, et j’en passe. Il y a quelques jours, au cours d’une soirée festive parisienne épique (si, si, quand la préchauffe commence à 18h et que la soirée se termine à 6h, on a le droit de dire « épique »), il se trouve qu’une amie chère que je connais depuis plus de quinze ans est venue pour la première fois me poser des questions sur mes rapports avec les garçons (et c’était spontané et délibéré vu qu’elle n’était même pas bourrée). Et s’il est vrai que ma bisexualité est de notoriété publique (même si elle ne l’était pas, n’importe quel Sherlock Holmes du dimanche aurait pu le comprendre en me voyant baver sur Chris Hemsworth ou Jason Momoa), si j’en ai d’ailleurs régulièrement parlé – ou au moins mentionné – sur ce blog, les détails pratiques ou les anecdotes liées à mes histoires masculines font rarement partie des anecdotes que je raconte.

C’est en répondant sans retenue ni gène aux questions de mon amie que je me suis rendu compte qu’il y avait sans doute une raison à cela, une raison évidente, parce que parler d’un sujet t’amène à penser ou parler à des sujets proches, et que sur ces chemins emplis de jolies fleurs et de souvenirs agréables je pouvais apercevoir dans les méandres de mon esprit labyrinthique l’un des (rares) (si si, ils sont vraiment rares) sentiers sombres, sales, où j’ai planté plein de poteaux « WARNING » peints en rouge pour être bien visible de mon avatar cognitif inconscient lorsqu’il titille mon cerveau pour y puiser des souvenirs.

J’ai découvert ma bisexualité « sur le tard ». Déjà parce qu’objectivement, sur un plan purement physique et esthétique, je préfère le corps féminin. Mais j’ai vite compris que mes amours et mes désirs naissaient principalement d’une émulsion intellectuelle plutôt que visuelle ou hormonale. Je suis résolument sapiosexuel. Je tombe amoureux d’un esprit plutôt que d’un corps ou d’un visage. Et j’avoue que la première fois que je suis tombé amoureux d’un esprit qui était livré avec un corps de mec, bah… j’ai refoulé. J’avais 17 ans. J’ai enterré ça. Mes partenaires de galipettes, à cet âge, se comptaient déjà sur deux chiffres, alors ça devait être un bug. Technique de l’autruche qui n’assume pas. Et c’est vers vingt ans, au fil de nombreuses discussions sans tabou et extrêmement saines en compagnie de mon meilleur ami de l’époque, lui ouvertement gay, que j’ai compris que j’étais bi. Et que j’avais « le droit » de l’être. Ne riez pas de cette dernière phrase, je suis très sérieux: déjà, à l’époque, l’homosexualité était nettement moins « grand public », acceptée et/ou tolérée que maintenant, mais quand tu étais bi (je devrais mettre un présent, car ce qui suit est malheureusement toujours vrai de nos jours, même si l’ampleur est moindre) tu avais tiré le double ticket gagnant de la discrimination homophobe. Tous les étriqués d’esprits intolérants qui crachaient sur « Les Pédés » crachaient aussi sur les bi, bien sur. Mais une tristement large partie de la communauté gay crachait aussi sur les bi, comme des indécis ou des traitres à la cause. Sans compter la proportion effarante de gens dans un camp comme dans l’autre convaincus que nous n’existons pas et que « c’est juste une passade » / « c’est un effet de mode » / « à un moment il/elle va bien choisir ».

Néanmoins, en dépit du climat peu bi-friendly de l’époque, en parler m’aide à mieux me comprendre, et je me dis que la prochaine fois que ma sapiosexualité me mène sur la route d’un esprit au corps du même sexe que le mien, je pourrai maintenant l’assumer. Et sans être particulièrement prosélyte sur le sujet, je me décide, maintenant que je l’avais compris, de répondre à toute personne me posant des questions sur ma sexualité: « je suis bisexuel ». Bon, en VRAI, si je dois être lexicalement hyper précis, je pense que je suis techniquement pansexuel. Le cas de figure n’est encore jamais arrivé jusqu’à présent, mais si mon coeur venait à s’emballer pour une personne située ailleurs qu’aux deux extrêmes du spectre du genre, je l’assumerai tout autant. Mais je ne connaissais pas le mot « pansexuel » à l’époque, j’ai pris l’habitude de dire « bi » et je le dis toujours, parce que je trouve ça joli. Vous me pardonnerez ce léger manque de précision sémantique.

Ma première expérience sexuelle avec un garçon est arrivée étonnamment très vite après cette prise de conscience. Moins d’un an. Un ami de fac qui avait un appartement non loin d’icelle, et chez qui je dormais souvent, parce que c’était pratique, les soirs où on sortait ensemble faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Il m’avait prêté un double de ses clefs, parce que certains soirs, je rentrais seul alors qu’il était parti aux bras d’une jolie demoiselle. Parfois, c’est lui qui rentrait seul, pour les mêmes raisons, à l’envers. Parfois, quand la douceur des amours volages nous était clémente à tous les deux, son appartement restait vide. Et parfois on rentrait tous les deux. Ces soirs là, on se couchait ensemble dans son grand lit, et on papotait encore pendant des heures après la fête, à refaire le monde. Et de fil en aiguille, tout doucement, de nuit en nuit, c’est devenu autre chose. Et c’était génial. C’est sans doute la meilleure première expérience non-hétéro que j’aurais pu avoir, parce que si tu te souviens bien du 3ème article de mon B.A.-BA de l’amour, tu sais que pour moi, un(e) amant(e) qui est aussi un(e) ami(e), c’est encore mieux.

La seconde expérience était purement une aventure. Une manière de transformer l’essai, en sorte. Rien de véritablement marquant à en dire. A l’époque où je parlais souvent de mes papillons, disons que ce garçon fut mon premier (et seul) papillon masculin.

La troisième expérience était très différente. Et mon état d’esprit aussi. J’étais dans la même sorte de spirale intellectuelle et émotive dans laquelle je tourne lorsque ma curiosité et mon intérêt sont piqués par quelqu’un, et que je sens mes indicateurs cognitifs passer au vert, une personne dont je pourrais tomber amoureux. Voire Amoureux (pour la différence entre amoureux et Amoureux, c’était ici). Il a presque dix ans de plus que moi, il a une culture incroyablement riche, il est plus grand que moi (ce qui, du haut de mon 1m91, est assez rare), et chaque fois qu’il ouvre la bouche, sa voix est un chant, une ligne de basse qui me fait vibrer tout entier. Je viens de rompre d’une relation assez longue durée et de quelques années de vie commune, on se rapproche, on se cherche, on se trouve. On passe de plus en plus de temps ensemble. Des jours et des nuits fantastiques. La certitude de ma sapiosexualité (physiquement, il est trop musclé pour me plaire, en mec je suis plus dans le cliché bad boy tendre, style Kurt Cobain ou Jared Leto) et de ma bisexualité (je me sens en train de tomber doucement amoureux) s’ancre définitivement en moi. Bref, que du bonheur.

Jusqu’au soir où il m’a violé.

Voir ces mots écrits au moment où je les frappe (frénétiquement, malgré moi, mes doigts sont des boules de nerfs, des chevaux rebelles qui renâclent sous la contrainte) me fait encore de l’effet. Plus de douleur, plus de peine, plus de souffrance, cette partie de la page est tournée maintenant, mais cela reste difficile. J’ai mis plusieurs mois à le comprendre, plusieurs années à le digérer, plus de dix ans avant de pouvoir en parler à qui que ce soit. Au moment où j’écris ces lignes, moins de dix personnes sont au courant de cette histoire sordide, avec plus ou moins de détails. C’est la première fois que j’en parle « publiquement », parce qu’aujourd’hui j’en ai envie. Peut être besoin. Ceux qui ont du mal avec le sujet peuvent sauter les prochains paragraphes sous les petites étoiles, car ils seront assez graphiques, reprenez aux petites étoiles suivantes, juste après l’image, pas avant.

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Il est tard, nous rentrons d’une fête. Je suis sur les rotules. On va se coucher. Il a envie, pas moi. Il argumente, négocie. Commence un petit jeu qui m’amuse un peu, sur le coup, malgré la fatigue. Des grimaces de fausse tristesse, des chatouilles. Dans mon souvenir, je m’entends même en rire franchement en dépit de la fatigue. Mais je sais trop comment fonctionne l’esprit humain aujourd’hui pour savoir qu’il y a sans doute des différences assez énormes entre mes « souvenirs », aujourd’hui, et ce qui s’est réellement passé à la fin de l’hiver (ou était-ce déjà le printemps?) au début de l’année 2004. La Vie (tm) me pardonnera toute erreur factuelle, elle ne serait pas délibérée. Mon rire donc. Et puis le jeu « s’envenime » un peu. Devient un jeu un peu dominant / dominé. Ceux et celles qui sont passés entre mes bras, entre mes draps, savent que je suis d’un naturel dominant, dans un cadre de limites mutuellement consenties. Que je sais parfaitement être « neutre » si besoin. Mais rien d’autre. Vous le savez, je le sais, il le sait aussi. Et là, à ce moment là, il y a un grand flou dans mes souvenirs. Je me vois (oui, je me vois, et à ce moment je repense à cette trope littéraire de la dissociation du corps et de l’esprit pendant un viol, de voir la scène comme un fantôme spectateur, et mon cerveau prend des notes et félicite le corpus médical et littéraire de sa justesse sur le sujet), sur le ventre (je me dis que je me suis un peu laissé aller depuis que je suis officiellement célibataire, et qu’il faudrait que je pense à perdre quelque kilos), la tête écrasée contre l’oreiller (je me félicite chaleureusement de ma décision de systématiquement payer mes oreillers plus cher, que le duvet c’est tendre et confortable, et que les gens qui dorment sur des oreillers synthétiques ne sont que des barbares), physiquement, je ne ressens rien (je me demande s’il y aura beaucoup de monde au magasin demain, les comptes de ma petite entreprise connaissent un peu la crise), absolument rien, même pas une sensation d’anesthésie, juste le vide (mon cerveau tente de dresser un schéma comparatif avec mes exercices de méditation, se dit que cette méthode arrive au même résultat de manière bien plus rapide, peut être quelque chose à en retirer? Une soudaine envie de vomir venue de nulle part, mon cerveau abandonne l’idée). Je ne sens rien.

Je ne suis rien.

En cet instant, je ne suis plus rien.

Je ne ressens rien. Mais j’entends. J’entends sa voix, sa si belle voix, sa voix grave, et pourquoi n’avais-je jamais remarqué comme cet arrière goût de cruauté, de méchant de James Bond, j’ai l’impression de n’entendre que ça maintenant c’est étrange. Et il répète, tel un mantra, pendant qu’il est occupé (à quoi? Je ne sais pas, mes yeux de fantôme à quelques mètres de mon corps refusent de se baisser pour voir la scène en pied. Mais à la voix, il fait un effort, visiblement, il doit être occupé, et mon cerveau me dit que des muscles puissants c’est pratique quand on veut faire un effort physique, il a de la chance, mon mec). Il répète le surnom que j’avais à l’époque. Il répète mon patronyme de naissance. En boucle. Il aime ça, Polo. Il aime ça, monsieur XXXXX. Tu dis rien? Il aime ça Polo. Il aime ça monsieur XXXXX. Tu dis rien? IL AIME ÇA POLO!!! IL AIME ÇA MONSIEUR XXXXX!!! etc. Pendant… Pendant je ne sais pas. Deux minutes? Dix? Une heure? Une vie? Ma vie? Puis mon cerveau me rappelle à l’ordre, me rappelle qu’on a convenu lui et moi il y a quelques secondes/minutes/heures/jours/mois/années que je ne suis plus rien, et qu’il y avait une bonne raison pour ça. Mes souvenirs s’arrêtent là. Fade to black

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Les souvenirs suivants sont ceux du lendemain. Enfin je suppose. En tout cas il faisait jour. Et au risque de ressembler à un cliché sur pattes, j’essaie de reconstituer la scène de la (veille?). Je me dis que j’ai dû mal comprendre. Ou mal me souvenir. Et que de toutes façons c’est probablement de ma faute. La spirale noire commence. Mon cerveau, béni cerveau plus rapide que la moyenne, prend tout en main. Entreprise d’excavation, à l’envers. Mon mec disparait de ma vie (je l’ai envoyé chier? Il n’a pas osé revenir? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je sais juste qu‘il n’est plus dans ma vie et c’est tant mieux). Ma petite entreprise est sur une pente descendante mais curieusement je n’en ai plus rien à foutre (il s’est passé des choses dans l’arrière boutique avec… avec qui déjà?). Je vais aller déposer le bilan, pas envie de faire d’efforts. Je n’ai plus d’argent pour payer mon loyer et je vais devoir quitter mon appartement. Trois mois d’impayés déjà, c’est pile le montant de la caution, mes relations avec mon proprio s’enveniment. Mes parents, garants, s’en inquiètent. S’inquiètent un peu de mon inhabituelle apathie. T’as pas l’air d’aller bien… Non, non, je ne vais pas bien, mais c’est normal, ma boite que je saborde a 10 000 euros de dettes, et je dois déposer le bilan, et puis aussi des restes de cette rupture de relation à long terme avec cette fille il y a quelques mois, bien sûr, c’est ça, c’est FORCÉMENT ça. Ce n’est que ça. Rien d’autre. Absolument rien d’autre. Il n’y a rien d’autre, rien que le rien. Moi. Le rien.

Mon cerveau continue à prendre tout en main. Les oeillères, comme à un cheval rebelle, pour qu’il aille droit, droit devant. Avancer. Avancer parce que si je n’avance pas, je tombe, et que je sais, je sens que si je tombe, je ne me relèverai pas. Alors j’avance, je crée de nouveaux projets, je me réinscris à la fac, je rentre vivre chez mes parents, temporairement bien sûr, le temps de me refaire une santé, d’éponger mes dettes QUI SONT LA SEULE ET UNIQUE RAISON DE MES LARMES QUAND ELLES COULENT. Tourner la page de mon entreprise morte, QUI EST LA SEULE ET UNIQUE RAISON DE MES LARMES QUAND ELLES COULENT. Et ça marche. Tant bien que mal. La poussière de Lune m’aide à me concentrer, à aller plus loin de l’avant.En 2004, cela fait six ou sept ans que j’en prends régulièrement, pour bosser surtout, pour les nuits blanches. Je connais bien son pouvoir anesthésiant. Je constate que ça fonctionne aussi sur l’âme, un peu. Je n’avais jamais eu l’âme qui pique. Je suis ruiné mais je trouve toujours quelques combines, quelques vieux souvenirs à revendre, pour de l’argent de poche, un peu d’argent de nez.  J’avance. Je me reconstruit. Surtout, surtout ne pas regarder derrière. Il ne s’est rien passé.

Les premiers mois, j’ai du mal à comprendre pourquoi mon surnom que j’adore (Salut Polo! Une petite partie de L5R???) est soudainement insupportable à mon oreille. Je demande gentiment aux gens de ne plus m’appeler Polo. Beaucoup ont du mal, ça fait des années que je les bassine avec ça, tout le monde sait que je préfère « Polo » à Paul. C’est vrai ça, c’est étrange, peut être parce que c’était Polo sur le lit qui se faiet là le cerveau prend la main et rationalise et dit que Polo ça fait gamin quand même, j’ai vingt cinq ans bordel, il y a quelques mois j’étais chef d’entreprise, c’est nul Polo. Berk. C’est pour ça. C’EST JUSTE POUR ÇA, bien sûr.

Encore plus étrange. Chaque fois que j’entends mon patronyme, que je le vois écrit sur une lettre m’étant adressée, sur ma carte d’identité, quand on fait l’appel à la fac (oui je vous ai pas dit? J’ai repris la fac. D’anglais. Aller de l’avant. Ne pas s’arrêter. Ne pas tomber. Toujours), chaque fois que je le croise sous une forme quelconque, j’ai envie de vomir. Viscéralement. Chaque fois. Au creux des tripes. Sans doute parce que Monsieur XXXXX, il s’est fait vet là le cerveau prend la main et rationalise et affirme que Paul (pas Polo, jamais Polo, plus jamais Polo) c’est un putain de bon écrivain, et qu’il a le sang bleu, bordel, alors il n’y a aucune raison pour que les gens l’appellent par son… par CE nom plutôt que par son titre. Après tout, le ministre de l’intérieur actuel, tout le monde l’appelle « De Villepin », pas « Galouzeau ». Je suis un garçon exceptionnel, je mérite et exige le même traitement. Question d’ego, vous me connaissez. C’est pour ça. C’EST JUSTE POUR ÇA, bien sûr.

Les années passent et mon esprit est fort. Je me suis vite reconstruit, au final. Je suis un mec bien (je ne suis rien, dit un écho qui commence à disparaitre). Mon cerveau fait des merveilles. En sacrifiant mon patronyme et mon surnom à la déesse et au dieu, ils m’aident à me relever. Ma foi m’aide beaucoup. Les filles qui passent dans mes bras (juste des filles. Pour l’instant en tout cas) aussi. C’est joli, un papillon. La poussière de Lune m’aide beaucoup. Un doute… Et si ce n’est qu’avec ça que je tiens, en VRAI? En 2007, je me sens assez fort pour mettre cette théorie en phase test. J’arrête du jour au lendemain. Sans manque, sans séquelles. C’est MOI qui me suis reconstruit, pas la poudre. Je suis un mec fort. Je suis un mec bien (je ne suis riTA GUEULE!… C’est la dernière fois que j’entends l’écho).

Les années passent et petit à petit, je réalise, je comprends, j’assume, je digère, mais je n’en parle pas. Vers… 2013 ? Presque dix ans après les faits, je peux à nouveau croiser mon patronyme de naissance sans avoir envie de vomir. C’est la première fois. Je suis en train de préparer mes faire-parts de mariage, ceux qui sont adressés à ma famille, qui porte toujours ce nom qui ne pique plus. Qui ne pique plus, mais que je n’utilise plus depuis dix ans. Ce n’est plus MON nom. Mon nom à moi, après un long combat judiciaire, administratif, et notarié, il est écrit noir sur bleu sur ma carte d’identité, maintenant. MON nom. Et vu qu’on va se marier, tiens, on en parle, de noms. On fait quoi? On garde chacun le sien? Ah, tu penses qu’avoir le même ce serait cool pour les enfants? Ça me va. Tu veux t’appeler De Senquisse? Ou tu préfères que je m’appelle YYYYY? Les deux me vont tout autant, tu sais… (le petit lapin apeuré de la vocalisation des Évènements de 2004(tm) pointe le bout de son museau au fond de ma gorge. Pour la première fois depuis 2004. Finalement c’est peut être sain d’en parler? Et je suis en confiance. Et c’est le thème. Pattoune, Pattoune, font les pattes du lapin) Comment? Pourquoi pas XXXXX? Mais c’est très con ça, comme question. C’est pas mon nom. C’est celui de mon père. T’épouses pas mon père, si? Hein? Oui, je sais que tu me trouves chiant avec mes histoires de nom, mais je t’ai déjà dit, tu sais que XXXXX pour moi c’est lié à des souvenirs difficiles…

« Oh c’est bon hein, c’est pas comme si tu t’étais fait violer!!! »

Le petit lapin s’enfuit. Retourne bien, bien profond dans son terrrier. Safe. Il mettra deux ans de plus avant de sortir, enfin, se faire caresser ses blessures par des gens qui comptent, des gens de coeur, en qui j’ai confiance et qui ne m’ont jamais trahi. Moins d’une petite dizaine de caresses dans les deux ans qui suivent. Juin 2018, le petit lapin sort pour la première fois de son terrier au grand jour et en public. Regardez comme il est mignon maintenant:

Il est mignon mais il serait hypocrite de prétendre qu’en cet instant précis il ne me fait pas un petit peu peur, ce lapin. Je sais que forcément certains regards dans mon entourage vont changer. Mais je fais confiance au lapin, je me fais confiance. Il sort parce qu’il en a besoin, il sort parce que j’en ai envie. Parce que ma vie est un open bar, et que ça inclut même les alcools imbuvables comme le Malibu, et les mauvais souvenirs d’un viol trop longtemps refoulé. Parce qu’il y a des choses à dire, encore. La plus importante? Je n’en veux à personne.

Je vous pardonne de n’avoir pas deviné, c’était imbécile de ma part de l’attendre, surtout que je sais que je suis très doué pour masquer mes sentiments. Je pardonne aux dizaines, dizaines de personnes qui durant ces 14 dernières années ont prononcé en ma présence une variante du « de toutes façons un homme ça ne PEUT PAS se faire violer » . Je pardonne aux dizaines de poignards dans le coeur. Je pardonne à ceux qui étaient convaincus que j’avais décidé de ne plus me faire appeler Polo du jour au lendemain juste pour faire mon intéressant, parce qu’il y a sans doute un peu de vrai là dedans, mais pas que. Je pardonne à ceux qui pendant 14 ans ont trouvé ça super marrant de régulièrement me montrer que dans leur téléphone, ou dans leur messagerie, j’étais toujours enregistré sous mon vieux patronyme, ha ha ha c’est tellement drôle j’ai envie de vomir, et puis finalement, je n’ai plus envie de vomir, et ce n’est pas si grave, je vous pardonne. Je vous le pardonne parce que je sais, je SAIS que vous ne pensiez pas à mal, que vous ne POUVIEZ PAS savoir. Mais j’espère juste si vous me lisez et que si vous vous reconnaissez, la prochaine fois, si une situation similaire se présente, vous penserez à la portée de vos actes. Parce qu’on ne peut jamais tout savoir, jamais vraiment comprendre toutes les raisons, surtout pour quelque chose qui ne vous aurait pas demandé beaucoup d’effort. Dites vous que si quelqu’un vous demande quelque chose de simple, régulièrement, avec insistance, il y a peut être une sale raison comme la mienne, derrière. Venant de certains amis extrêmement proches, cela a sans douté été les coups de massue qui ont fait le plus mal ces 14 dernières années. Mais avec amour et sincérité, je vous le dis, je vous le pardonne. Promis, je vous le pardonne.

Et surtout, surtout?

Paul, mon petit Paul, mon petit égocentrique histrionique, baron de Senquisse, et incurable grandiloquent, je te/me le pardonne. Je te/me pardonne de ne pas m’avoir/t’être défendu. Je te/me pardonne de ne pas avoir réagi autrement. Je te/me pardonne de ne pas en avoir parlé tout de suite à quelqu’un. Je te/me pardonne de ne pas avoir porté plainte à l’époque. Je te/me pardonne de ne plus vouloir porter plainte aujourd’hui, parce que la page est tournée, que c’est une page encore difficile mais plus douloureuse, et que pour être tout à fait honnête j’ai oublié jusqu’à son nom et son prénom. Juste les images, floues. Mon cerveau est un outil extraordinaire. Et surtout, je te/me pardonne d’avoir pu oser croire ne serait-ce qu’un instant que c’était de ta/ma faute.

Aujourd’hui, je suis en paix avec moi même et avec ça depuis plusieurs années. Il n’est pas simple d’en parler (mais il y a cet article, maintenant, je peux envoyer le lien), et ça reste un souvenir difficile, mais je me sens apaisé, vraiment. J’ai suffisamment de distance physique, temporelle, et émotive avec les évènements pour avoir le recul nécessaire de ne plus en souffrir. Oh il y a sans doute des séquelles, objectivement, certaines sans doute invisibles, d’autres plus évidentes (à ce jour, sans pouvoir donner de chiffre précis, j’estime qu’une centaine de partenaires, plus ou moins 20%, ont partagé mes bras et mes draps. Sur cette centaine approximative, il n’y a que trois garçons. C’était le dernier. Et si je sais que je suis toujours sapiosexuel, et toujours bi(pan)sexuel, je sais aussi que le seuil de confiance nécessaire à ouvrir mes bras à un garçon aujourd’hui est incroyablement plus élevé que pour une fille. Mais ne vous inquiétez pas, ça va, vraiment. Juste un peu le trac. Et l’appréhension, pour la toute, toute première fois depuis les premiers articles de blog (en 2004, d’ailleurs. Marrant, cette coïncidence. Et pourquoi j’ai choisi « Tears of the Night » plutôt que « Ma vie est un open bar », comme titre, déjà? Coïncidence aussi, sans doute. On n’avait pas dit que je ne croyais pas aux coïncidences, comme axiome?), l’appréhension d’appuyer sur le bouton « Publier ».

Il y a quelques heures, j’ai vérifié, il fonctionne.

*CLIC*

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La citation du jour: « Je retiens de ma journée que j’aurai fait pleurer un mec et que j’aurai eu une demande en mariage… Ce blog est fantastique »
La chanson du jour: Les hommes qui passent, Patricia Kaas, « Les hommes qui passent, Maman, leurs nuits d’amour sont des étoiles qui laissent des traces, Maman… Les hommes qui passent… violents »

Même si l’anecdote sordide contée ci dessus est sans doute la seule fois depuis mes dix-sept ans jusqu’à ce jour où j’en ai VRAIMENT douté, la vie est belle !