Depuis hier soir, un boulet de canon médiatique aura fait disparaitre presque toute mention des ratés de Free Mobile et de leurs non-cartes SIM, et réalisé la performance de rendre une keynote Apple absolument invisible sur Twitter.

Ce boulet de canon, c’est la fermeture du site de partage de fichiers pas-toujours-légaux-mais-parfois-si-quand-même Megaupload. J’étais tranquillement en train de jouer à WoW sur le mac, regardant Twitter d’un air distrait entre deux pulls de boss, lorsque l’effervescence a commencé. « Megaupload fermé », « Plus de Megaupload », et autre déclinaisons, en boucle, avec quelques articles relayant l’information (dont la BBC, l’un des premiers media « sérieux » à couvrir le sujet de manière intensive) comme quoi ce n’était pas une panne technique mais bien une fermeture suite à décision de justice.

La réaction ne se sera pas fait attendre. Ralliés sous la bannière des Anonymous, Internet réagit massivement à la fermeture de ce site correspondant, si l’on en croit certains chiffres, à 4% du traffic mondial à lui seul. Attaques informatiques sur les entités perçues comme « coupables », les sites en question tombent un par un : site du département de justice américain, site de Universal, notre immondice française Hadopi, et même le site du FBI n’y aura pas échappé. Certains seront restés offline plus longtemps que d’autres, mais la riposte « pour le principe » en tout cas était réussie.

Aujourd’hui encore Megaupload était le sujet de discussion favori de l’Internet francophone, même s’il faut avouer que la plupart des messages que j’ai pu voir passer sur les réseaux sociaux ou dans les médias étaient aberrants de raccourcis et de manque d’objectivité ou, vous savez, de connaissance des FAITS. Et il y a eu un net clivage entre les « wééééééééééérévolutiooooooooon » d’un côté pour qui Megaupload était un messie maintenant devenu martyr sur l’autel des vilains patrons, et d’autres pour lesquels Megaupload était le Fils de Satan(tm) et qu’il fallait s’en réjouir même si on était un djeuns rebelz.

Comme souvent dans les combats d’extrêmes, la Vérité ™ se trouve grosso modo à mi-chemin. Mais avant d’aller plus loin dans mon avis personnel propre de moi même (qui vous intéresse forcément, sinon vous seriez sur lemonde.fr ou nytimes.com, alors patientez deux minutes que je finisse l’intro ^_^), il me semble important de rappeler plusieurs choses, parce que j’ai lu des élucubrations qui feraient s’arracher les cheveux à un chauve.

A) A part la date qui coincide peu ou prou avec les opérations de blackout anti SOPA et PIPA, la fermeture de megaupload n’a absolument RIEN à voir avec ces deux projets de loi. C’est une opération judiciaire de longue date mise en place a travers une coopération entre de nombreuses polices internationales qui a fait mettre la clef sous la porte de Megaupload, c’est en cours depuis des mois (c’est LENT, la justice mondiale), et tout a été fait avec les lois déjà existantes.

B) Ce n’est pas Obama qui est venu appuyer sur « off » sur les serveurs de Megaupload. J’aurais tendance à dire, « au contraire », la dernière action en date d’Obama en matière numérique est justement – à l’opposé INTEGRAL de notre président déconnecté des réalités qui cherche à promouvoir sa bouse Hadopi à travers le monde, soit dit en passant – de *TUER* le projet de loi SOPA au Congrès. La Maison Blanche a émis mardi un communiqué expliquant qu’Obama ne promulguerait jamais SOPA en l’état, et qu’il était prêt à – je cite – « défendre vigoureusement un Internet ouvert basé sur les valeurs de la liberté d’expression, du respect de la vie privée, de la sécurité et de l’innovation ». Pour les anglophones, je vous invite à ==>lire la déclaration de la Maison Blanche<== avant de faire des raccourcis. Personnellement, j’échange mon président contre le leur QUAND ILS VEULENT (mais ils ne voudront pas).

C) Si le côté « Bouh-le-piratage-c’est-le-mal » est fortement mis en avant dans le procès contre Megaupload, pour faire peur et pour faire passer le message des lobbys, ce n’est pas principalement pour ça que megaupload ferme. C’est surtout pour les (réelles) malversations de son fondateur, et les couilles en or qu’il s’est fait sur le dos (un petit peu) des major et sur le dos (beaucoup) de ses utilisateurs. J’y reviens plus bas, mais gardez cela en tête.

Maintenant j’en viens à mon opinion. La fermeture de Megaupload, dans le fond et la forme, est à la fois une très bonne chose, et quelque chose d’absolument horrible. Oui, les deux en même temps. J’explique.

Pourquoi est-ce une bonne chose ?

Je n’ai jamais caché dans mes articles être plutôt contre le piratage. Certes, on pourra m’accuser assez facilement de me ranger du côté des majors, vivant moi même exclusivement de ma plume depuis plusieurs années. Mais ce serait mal me connaitre. S’il y a bien une chose que j’aime encore MOINS que le piratage, ce sont les politiques actuelles des majors, et la répression stupide et inutile dudit piratage. Je préfère une responsabilisation des gens. Je reste convaincu que si on ne les prend pas pour des cons, les gens qui ont les moyens de soutenir la culture et les artistes le feront, et le font, d’ailleurs. Il n’y a jamais eu autant de monde dans les concerts que ces dernières années. Des auteurs peuvent écrire des livres et les publier sur Internet en étant rémunérés sans passer par les maisons d’édition. C’est un peu comme un contrat moral, et je sais d’expérience que dans notre société de consommation, les gens sont HEUREUX de soutenir ce qu’ils aiment avec leurs deniers. Qui parmi vous n’a jamais acheté un best of de son artiste favori malgré le fait qu’il ou elle possède déjà l’intégrale de ses albums ? En revanche, surtout dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, je trouve dommage *et* dommageable que l’argent soit un frein à l’accès à la culture et à l’éducation, surtout chez les plus pauvres et chez les plus jeunes à l’argent de poche limité. Que ces gens là téléchargent à tout rompre ne me choque pas, et si je suis prompt à froncer les sourcils (pour le principe) quand on me l’avoue, je sais que la majorité d’entre eux est également consommateur, ou en tout cas le sera dès leur entrée dans la vie active ou l’augmentation de leur pouvoir d’achat (en revanche, ceux qui téléchargent malgré la possibilité matérielle d’acheter, ou pire, qui utilisent le récurrent « je préfère garder mon argent pour m’acheter le dernier Galaxy Tab » comme excuse n’ont qu’à croupir au plus profond de mon mépris, tu n’achètes pas une Porsche au lieu d’une Fiat Punto en faisant un plus gros crédit et en te disant que tu peux payer la voiture mais que t’auras qu’à voler l’essence à la pompe). Toutes les études le disent : les plus gros pirates sont les plus gros clients payeurs de l’industrie culturelle.

Alors pourquoi est-ce une bonne chose, donc ? Je te vois, jeune lecteur, sexy lectrice, t’impatienter et me dire que mon paragraphe précédent n’explique rien du tout et n’a rien à voir avec la choucroute et tu as RAISON, je me laisse emporter, je reviens au sujet. Le fait que je sois plutôt contre le piratage sauf exceptions ci dessus, donc, n’a rien à voir avec le fait que je trouve ça plutôt cool que monsieur Dotcom se retrouve potentiellement devant les tribunaux. Parce que s’il y avait des usages légitimes de Megaupload, soyons honnêtes, ce n’était pas la majeure partie du traffic du site. Mais surtout, ce dont est accusé le fondateur est d’avoir encouragé délibérément le piratage de masse à des fins purement lucratives. Et s’il y a une chose qui m’énerve encore plus que les majors de plus en plus inutiles qui se font des couilles en or sur le dos des artistes et des honnêtes payeurs, ce sont les entrepreneurs qui se font des couilles en or sur le dos des artistes et des utilisateurs naifs, drainant via publicité et comptes premiums de l’argent qui, au lieu de se retrouver au moins un petit peu dans la poche des artistes, sert à financer la villa en Nouvelle-Zélande de monsieur Dotcom. Pour info, elle ressemble à ça, sa villa :

Plutôt pas mal hein ? Il peut se le permettre, avec près de 200 millions de dollars de recettes des comptes premium de Megaupload, engendrés par un business model délibérément construit sur l’illicite, les conversations email du fondateur révélant qu’il était non seulement explicitement au courant de l’immense majorité de fichiers piratés par rapport aux fichiers licites sur Megaupload, mais que de plus cette pratique était sciemment encouragée, les fichiers n’étant jamais détruits (mais seulement déplacés sur les serveurs, avec nouveaux liens) lors d’une injonction de justice contre un fichier, et les plus gros uploaders recevant une compensation financière directe de Megaupload pour continuer leur business, et donc le leur. Sur le principe, gagner de l’argent illicitement, c’est bien qu’il soit jugé, et c’est d’autant mieux que c’est de l’argent gagné illicitement sur la naïveté des gens en se faisant passer pour Robin des Bois en n’étant en fait qu’un plus gros pourri que le Sheriff de Nottingham. Soit dit en passant, je suis certain que les utilisateurs ayant payé un compte megaupload premium aurait de bon coeur versé la même somme pour une licence globale aux dividendes reversés aux artistes. Je dis ça, je dis rien, cf plus haut le principe des bons payeurs quand on n’est pas pris pour des cons.

Mais alors pourquoi est-ce que la fermeture de Megaupload est aussi une mauvaise chose, vas-tu me demander, charmant lecteur, pulpeuse lectrice, maintenant que mon habile rhétorique a réussit à te convaincre que Megaupload méritait d’être lapidé en place publique ? J’y viens.

Déjà parce que c’est bel est bien le fondateur de Megaupload, qui mérite la comparution devant un juge. Pas son site. Certes, Megaupload avait un traffic majoritairement illicite, mais il avait aussi un usage licite, et le site en lui même est « neutre ». Quand John Lennon a été assassiné, Mark David Chapman a été en prison mais son revolver, lui, n’a pas été accusé directement. Détruire l’outil en même temps que le crime est totalement contre-productif. Déjà, au niveau de la forme. Certes, si tu as suivi, la fermeture de Megaupload n’a rien à voir avec SOPA et PIPA (mais si, tu as suivi, je te l’ai expliqué au dessus !) mais dans une période où ces projets de loi inquiètent à juste titre une bonne partie des américains et du reste du monde, voir la fermeture de l’un des sites les plus visités au monde, sans sommation, avant tout procès, et avec la coopération de plusieurs gouvernements mondiaux fait peur, et à juste titre. Le printemps arabe et les dictatures renversées grâce au pouvoir de Twitter et d’Internet ont ouvert les yeux à de nombreux dirigeants ou rouages importants du « système » sur les capacités de rassemblement et de communication de cet outil merveilleux. Internet, c’est un peu le contraire de la télévision : plutôt que de vous abrutir et de vous isoler en solitaire, cela vous incite à communiquer et à vous éduquer, vous informer.

Et ça, ça fait mal à la dystopia Orwellienne en train de se contruire depuis des décennies. Donc il y a de plus en plus de tentatives de contrôle et de projets de loi visant à donner aux gouvernements la possibilité de museler Internet comme Megaupload a été muselé. Et c’est *MAINTENANT* qu’il faut réagir, et réagir aussi fermement que les peuples qui ont renversé les dictatures, parce qu’avec trop de laisser faire, il sera trop tard. On va chercher à vous vendre ces lois avec la pilule de la sécurité ou de la responsabilité, ou mieux encore : avec l’excuse de la lutte contre la pédopornographie, mais ne vous y leurrez pas ! La pédopornographie, en vrai, ils n’en ont rien à foutre, ou presque, et qu’on ne vienne pas m’accuser d’être un « conspiracy theorist » en disant cela, vous ne me ferez pas croire que les MILLIONS de dollars dépensés pour réussir à fermer Megaupload et à coffrer leur auteur n’aurait pas pu être dépensés pour ne coffrer ne serait-ce que UN réseau pédophile à la place si c’était vraiment leur priorité. Seulement voilà, on connait le lobby des majors et leurs poches pleines de pognon pour les politiciens en manque de soutien. Le lobby des gamins violés, curieusement, il a moins de millions à dépenser dans les poches des gouvernements, lui.

Sur la forme, donc, c’est le mal, puisque c’est du muselage en règle d’Internet alors que Kim Dotcom aurait pu tout aussi bien être jugé sans la fermeture du site. Mais si on peut déplorer tout l’argent que les utilisateurs de Megaupload ont envoyé dans les poches de Dotcom plutôt que dans les poches des artistes, il ne faut pas oublier POURQUOI ces gens ont payé pour leur compte premium. Adolescent lecteur, jeune et jolie lectrice, si tu es née au début des années 90 tu n’as sans doute pas connu les années Napster et ce juillet 2001 où les artistes, Metallica en tête, criaient leur victoire contre le piratage avec le shutdown forcé du plus gros centre de peer to peer de l’époque. Moi, oui, j’étais déjà un grand consommateur d’Internet en 2001. Et si déjà à l’époque malgré mon plus jeune âge j’étais déjà contre le piratage systématique, j’ai néanmoins vu cela comme une défaite de la liberté du réseau, et comme beaucoup j’ai fait parti de ceux qui ont prédit l’arrivée imminente des sites de stockage et des mafias qui tenteraient probablement de faire leur beurre dessus. J’aurais du parier gros, tiens.

Ce que ne comprennent ni les majors, ni les gouvernements (à l’époque j’aurais pu ajouter « ni les artistes », mais fort heureusement ils sont de plus en plus nombreux à ouvrir les yeux aujourd’hui), c’est que leurs « victoires » arrachées à grands coups de lois et à grands coûts (pun intended) de millions de thunes injectées pour les faire voter et les faire appliquer ne servent absolument à rien. Déjà parce qu’ils sont trop lents à réagir, avec leurs millions et leurs lois votées et revotées. Mais surtout que pour chaque centaine de législateurs et de programmeurs assujettis au système, il y a des MILLIERS d’internautes décidés à ne pas se laisser faire. La mort de Napster, contrairement à ce que semblait croire James Hetfield, n’a pas tué le piratage. Le lendemain, tout le monde découvrait eMule. Toute mesure technique pour réprimer le net, si complexe soit elle, n’a jamais tenu plus de quelques jours face à l’intelligence collective du réseau, comprenant AUSSI des législateurs anonymes et des programmeurs anonymes au moins aussi doués que ceux « du camp en face », mais beaucoup plus nombreux. Et le seul résultat est de complexifier sans cesse les outils et les flux utilisés pour laisser les gens libre de faire ce qu’ils veulent faire face à leur propre conscience (rappel : le piratage, c’est le Mal(tm), sauf si tu n’as pas les moyens de te payer cette culture dont tu es avide, auquel cas je fermerai les yeux avec bienveillance, je n’ai jamais su résister aux avides de culture. Oui, cela implique également que les pirates de Christophe Mae et Justin Bieber n’ont AUCUNE EXCUSE).

Le pire, c’est donc que les grands gagnants de la fermeture de Megaupload, ce ne sont même pas les majors, ni même les gouvernements alliés pour la défense des pauvres artistes (ahem). Ce sont justement les réseaux de pédopornographie et autres horreurs dont je parlais plus haut, maintenant que le piratage de musique va devoir se complexifier un cran de plus. Je vous prédit ici la montée en flèche de l’échange de fichiers musicaux et vidéo cryptés et sécurisés, via VPN & co, pour contourner les législations en cours visant à réprimer les megaupload-like maintenant que le peer to peer (qui était le plus SAIN des modes d’échange, puisque le moins enclin à générer du pognon pour les pirates potentiels, même à grande échelle) est de plus en plus contrôlé Hadopi-style, et va donc noyer dans cet immense afflux de bruit numérique crypté les pédo-réseaux qui étaient jusqu’à présent majoritaires à utiliser ces méthodes, et donc (relativement) aisément repérables et pistables. Arrêter un réseau pédophile sur Internet était déjà un travail ingrat et compliqué pour les polices du monde. A ce rythme, d’ici cinq ans, cela sera impossible ou presque. Va repérer le fichier des pauvres gosses torturés avec tes espions quand ces derniers te ramènent l’intégrale de Lady Gaga ou un screener de Bienvenue chez les Ch’ti. Question de priorités, je pense, mais ce n’est pas grave, soutenez Hadopi, c’est pour votre bien, et promis la Lopsi c’est contre les méchants pédophiles, promis, c’est le président qui l’a dit, et il applaudit d’ailleurs la fermeture de Megaupload des deux mains. Défendre le patron d’Universal est sans doute plus important que de défendre une gamine enfermée dans une cave. C’est pour le bien de la culture, il parait.

Les pédophiles, au moins, ils savent déjà pour qui voter en 2012.

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La citation du jour: « Moi j’avais une tête d’ampoule renversée quand j’étais bébé ! »
La chanson du jour: Désenchantée, Mylène Farmer, « Mais rien n’a de sens, et rien ne va… Tout est chaos à côté, Tous mes idéaux : des mots Abimés…. »

Même si ça faisait longtemps que je n’avais pas passé près de trois heures à écrire un article, la vie est belle !