*DISCLAIMER: cet article contiendra quelques infos sur la série Alias ayant inspiré la série Netflix Jessica Jones, mais aucun spoiler sur cette dernière*

Régulier lecteur, fidèle lectrice, à force de venir ici depuis de nombreuses années tu sais que ton baron favori est un grand fan de comic books. Rien d’étonnant, donc, au fait que j’attendais la sortie de la série Jessica Jones depuis plusieurs mois déjà (a fortiori suite à la sortie de l’excellent Daredevil qui s’était avéré bien, bien meilleur que ce que j’en attendais). Etant toujours aussi peu fan du piratage, j’ai donc réactivé mon compte Netflix hier matin. Oui, activé. J’avais pris un mois pour Daredevil, puis désactivé Netflix France, ce « Netflix du pauvre » en termes de contenu. Car autant je suis convaincu que ce genre de services numériques à la demande représente le seul avenir viable du divertissement télévisuel, autant l’offre Netflix France – en termes de films et de séries – est laaaaaaaaargement au dessous de l’offre Netflix US, et pour ça on peut dire un grand merci aux fantastiques lois sur l’ « exception culturelle française ». Mais c’est pour protéger la création artistique, tu comprends. Et mon cul, aussi visiblement. Bref. Je réactive Netflix, donc, et je m’apprête à passer un peu de temps avec Jessica. Et là? Wow.

Mais avant de parler de l’adaptation en série, il faut que je parle un peu du matériel source, pour remettre en contexte. Quand même un héros non-blockbuster mais tout de même bien connu comme Daredevil était inconnu du grand public à la sortie de l’adaptation Netflix (voire, pire encore, lié dans la tête des gens à Ben Affleck et Jennifer Gartner…), tu penses bien que pour une bombe sous-marine et underground comme Jessica Jones, il ne va pas y avoir beaucoup de monde capable de répondre aux questions sur ce thème dans un Trivial Poursuit. Jessica Jones est un personnage très particulier dans l’univers de Marvel. En 2001, Marvel Comics décide de s’assoir définitivement sur le moribond Comics Code Authority que les années 90 avaient mortellement blessé, et d’établir leur propre classification. S’ensuit la création de la gamme « MAX« , des comics Marvel mais déconseillés aux mineurs sans accord parental. La première série publiée avec cette étiquette est « Alias », écrite par un certain Brian Michael Bendis, un jeune auteur commençant à faire du bruit avec des séries comme Ultimate Spider-Man et Powers, au tout début de son ascension vers son statut actuel, où Bendis est l’un des écrivains les plus influents de l’univers Marvel et membre du cercle intérieur décidant de l’évolution dudit univers avec les éditeurs.

Dés le premier numéro, dès la première page, dès la première case, Alias annonce la couleur. Le tout premier mot de la série est un bon gros « FUCK! », en grand et en gras, signalant bien que MAX, ce sera pas les même comics que ceux de ton papy. On y retrouve Jessica Jones, aigrie, alcoolique, détective privé à la dérive, et dotée de super pouvoirs. Les thèmes abordés sont plus sombres, conspiration impliquant le président, racisme anti-mutant poussé à l’extrême, traffic de drogue… Alias est thématiquement proche de séries plus vieilles comme Cloak & Dagger, sans être encombrée par le CCA. Et Alias, c’est bien. C’est même très, très bien. C’est du Bendis au sommet de son art, avant que le succès ne finisse par le rendre fainéant et médiocre dans 80% de sa production. C’est sombre, c’est réaliste, c’est moche comme ce que la vie a de plus moche à t’offrir. Et petit à petit, Jessica Jones – personnage créé par Bendis pour cette série, même si elle a été rétroactivement introduite dans la continuité précédente de Marvel – se découvre comme un puzzle complexe, le lecteur cherchant à comprendre ce qui l’a mené là, parce que quand tu voles et que tu es dotée de super-force, en général dans l’univers Marvel tu as plus tendance à sauver le monde qu’à te planquer dans un bureau miteux avec un verre de bourbon. Le mystère est levé lors du story arc final de la série, deux ans après son lancement, « The Secret Origin of Jessica Jones », révélant comment une super héroïne optimiste et acidulée comme un bonbon du nom de Jewel est devenue le Picon amer qu’est Jessica Jones, Détective Privé. Cette sombre histoire de manipulation, de torture psychologique, d’abandon par ses « collègues », offre à Alias un final en apothéose écrit avec un tel talent que plus de dix ans plus tard, cette histoire n’a pas pris une ride.

Et justement, c’est bien évidemment ce dernier story arc qui a été choisi par Netflix par son adaptation. Et si visuellement parlant la série est plus « soft » que le comic book source (après tout on est sur Netflix, pas sur HBO…), la série va au contraire encore plus loin, psychologiquement parlant. Cette série est une descente aux enfers sur 13 épisodes, une exploration des recoins les plus sombres et les plus répugnants de la psychologie humaine, et c’est terrible, et terriblement bien réalisé. Chaque petite lueur d’espoir qui brille au fond du marasme du décor est violemment piétinée par le script. Sur 13 épisodes, on y aborde les thèmes du viol, du traumatisme, de l’avortement, des parents abusifs, de la boulimie, du stress post-traumatique, de l’alcoolisme, de l’esclavage, de la manipulation, du mensonge, de la torture, de l’adultère, du chantage, de la mort, du terrorisme, de la drogue, de la prise de drogue forcée, des troubles du comportement, et d’un nombre incalculable de situations mélant plusieurs de ces éléments ensemble, sinon c’est pas drôle.

Jessica Jones, c’est dur. C’est très, TRÈS dur à regarder. Le bisounours que je suis a dû faire des pauses tous les 3 ou 4 épisodes. Et c’est si dur justement parce que la série est un sans-fautes, extrêmement bien écrite, extrêmement bien jouée, extrêmement extrême. Je m’attendais à ce que David Tennant, dans le rôle du grand méchant de la série, vole la vedette comme Vincent d’Onofrio en Kingpin avait dominé le jeu de tous les autres acteurs dans le Daredevil de Netflix, mais ce n’est pas le cas. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, il joue fantastiquement bien, et son Purple Man vous glacera le sang (même s’il est moins purple que dans les comics…), mais la transformation est moins marquante que celle d’Eddie Izzard en Wolfe dans Powers. Non, la révélation de cette série est à mes yeux Mike Colter en Luke Cage, absolument fantastique et impressionnant. Dans chacune des scènes où il est présent, vous ne verrez que lui. Il a réussi l’exploit de me faire attendre avec une réelle impatience la série Luke Cage, alors que c’est un personnage qui me laisse plutôt indifférent dans les comics. Les fans de comics plus attentifs aux easter eggs remarqueront aussi que la série laisse légèrement entrouverte la possibilité d’une série Hellcat et j’avoue que ça serait juste complètement cool. Carrie-Anne Moss est bluffante, Rachael Taylor est criante de vérité, et Krysten Ritter s’approprie avec brio le personnage de Jessica, mais Mike Colter est vraiment LA révélation de cette série.

Je ne veux pas trop en dire, car après tout la série n’est sortie qu’hier, et que j’ai promis dans le titre que cet article serait sans spoiler, mais en dépit des nécessaires pauses que j’ai du prendre pour digérer la violence psychologique de cette série, j’ai avalé les 13 épisodes d’une seule traite hier. Est-ce que je la conseille? Oui, clairement, oui, sans aucune hésitation, sauf peut être si vous faites partie des quelques rares personnes encore plus sensibles et bisounours que moi. Et encore. Oui, cette série est dure, et tape là où ça fait mal, et est remplie de « triggers » pour à peu près tout ce qui aurait pu vous traumatiser à un moment ou l’autre de votre passé, mais c’est traité tellement intelligemment, brillamment, et sur un ton adulte, que la série peut aussi servir de catharsis dans ce cas, mais toujours en restant terriblement réaliste dans son traitement. Jusqu’à la dernière minute du dernier épisode, quand on regarde Jessica Jones, il est clair que l’on n’est pas dans Supergirl ou My Little Pony. Et tout comme Alias en 2001, cette série explore les recoins les plus sombres de la psyche humaine jusqu’à l’excès sans jamais être exagéré, et contribue à créer un univers Marvel organique, où tous les gens doté de pouvoirs ne mettent pas forcément de costume, où les « gentils » ne gagnent pas forcément à tous les coups, et où les victimes, aussi héroïques soient elles, ont autre chose en tête après la bataille que d’aller partager un Shawarma entre potes… Jessica Jones c’est sombre, violent, amer, et ça pique. Et ça pique autant parce que clairement, en tout cas à mes yeux, la réalisation de cette série est un sans fautes.

*****

La citation du jour: « Mais que j’aimerais rêver de fromage ! »
La chanson du jour: Blackstar, David Bowie, « I see right, so wide, so open-hearted pain, I want eagles in my daydreams, diamonds in my eyes… I’m a blackstar »

Même si j’ai un pneu crevé après avoir roulé sur une vis en rentrant de chez la petite princesse, la vie est belle !