Bordel, que cet article était difficile à écrire.

Plus de deux mois à le pondre. Écrire, ré-écrire, tout effacer, recommencer, changer d’angle d’approche, changer le contenu, se demander si c’est trop, ou pas assez, ne plus avoir envie de l’écrire, puis avoir envie de déjà l’avoir posté… Bref. Au final, une part de moi a fini par convaincre le reste de l’esprit que si c’était si compliqué, c’est que c’était important de le finaliser. Dont acte.

Si vous me connaissez personnellement, où si vous avez su lire entre mes lignes depuis mon retour à une quelconque semblance de fréquence ici il y a quelques mois, l’histoire tirée d’un film de Hugh Grant que j’avais longuement mentionnée ici depuis de nombreuses années s’est du jour au lendemain transformée en mauvais épisode de Punk’d au plus bas de la forme d’Ashton Kutcher. Le lait tombe. Adieu veau, vache, cochon, couvée. Après un mariage dont je reste malgré tout putain de fier, une journée que j’ai mis des mois à mettre en scène et à orchestrer les animations, et dont beaucoup de gens me parlent encore aujourd’hui, la belle dame en blanc est partie sans laisser d’adresse moins de trois mois plus tard.

Vous devinerez aisément que ce n’était pas très facile à vivre pour moi. J’étais, de surcroit, en dépression nerveuse sous traitement (qui n’avait rien a voir avec tout ça, mais du coup, ça n’a pas aidé…), donc c’était encore moins simple pour moi de réussir à comprendre, les quelques rapides explications que j’ai pu arracher à l’époque étant relativement floues, et souvent contradictoires. J’étais au fond du gouffre, on m’a tendu une pelle pour que je creuse. Et j’ai creusé. Creusé-hé. Elle ne s’appelait pas Aline, mais j’ai tout fait pour qu’elle revienne. Me heurtant à un mur, après avoir bien creusé, j’ai remonté mes manches, je me suis accroché à ma pelle, et je me suis mis à grimper hors du gouffre, mi-Phoenix, mi-Chris Sharma…

C’était long, et pénible, et merveilleux aussi pourtant. Noyé sous des vagues de soutien et d’amour de mes proches, amis, famille, et même distantes connaissances. Je me suis reconstruit, petit à petit, comme toujours quand je tombe. J’ai essayé de tourner la page, même si j’avais toujours laissé nos deux noms, sur la boite aux lettres.

Cela a pris quelques mois, mais j’allais mieux. Beaucoup mieux. Retrouvé ma confiance et mon assurance. Vaincu ma dépression. Prêt à mordre à nouveau la vie à pleine dents.

Puis elle est revenue en pleurant.

Je ne sais pas s’il est possible de t’imaginer la situation, ancien lecteur, jeune lectrice, mais j’avais l’impression d’être dans la quatrième dimension (Oui, Jean, c’est le temps). C’est elle qui était partie sans chercher à sauver les meubles, c’était sa décision face à laquelle je n’avais pas eu mon mot à dire, c’était moi qui avait pris en pleine face ce violent départ sorti de nulle part… et pourtant ce soir de décembre, c’était moi qui était debout, la tête haute, et elle en larmes devant ma porte. Et devant la boite aux lettres qui portait toujours son nom.

Contre les avis alarmistes de ma meilleure amie, de mon conseiller cubain à l’autre bout de la France, de mon tendre ami parisien fraichement papa, et des quelques rares personnes au courant, nous nous sommes remis ensemble. Oui, tu te doutes bien de ce qui va arriver ensuite, malin lecteur, presciente lectrice, mais j’ai toujours eu du mal à dire « non », quand j’aime, et après tout nous n’avions pas encore divorcé, et quitte à ce que tu me trouves stupide ou cliché, pour moi ces mots échangés entre elle et moi faisaient sens, et rien que pour ça, amoureusement, humainement, et spirituellement, je me devais d’essayer. J’ai ouvert ma porte. Plus parce que j’en avais besoin, mais parce que j’en avais envie. Et j’étais content que son nom soit toujours sur la boite aux lettres.

Tenter de renouer des liens qui ont été tellement abîmés, il faudrait être aveugle pour croire que c’était une affaire gagnée d’avance. Mais nous avions visiblement tous deux envie d’y croire. Sous ma façade cynique et de plus en plus misanthrope, j’ai toujours été un incurable romantique. La seule chose que je lui ai demandé de me promettre, lucides que nous étions sur les risques d’une telle décision, est qu’en cas d’échec, nous en parlerions ensemble et prendrions une décision en adultes. Quant à elle, elle m’a demandé de taire notre tentative de recoller les morceaux, sur mon visage « extime » des réseaux sociaux et sur Tears bien sur, mais aussi face à nos amis, nos familles, nos proches. Vous savez combien l’hypocrisie m’horripile, et je me refuse à mentir, j’ai donc transigé en promettant de ne rien dire de moi même, mais de ne jamais mentir à une question directe. Fort heureusement, mes amis sachant combien cette situation m’avait affecté, et au vu de mon sourire retrouvé depuis quelques mois, se sont évertués à ne jamais ne serait-ce que mentionner son nom en ma présence (sauf un, l’officier de police judiciaire, déformation professionnelle sans doute…) et le « secret » était sauf, hormis les quelques personnes à qui elle avait choisi d’en parler, ma meilleure amie, et la boite aux lettres.

Ce qui devait arriver arriva. Les premières semaines étaient vraiment géniales et m’ont empli d’espoir quant à la réussite de notre nouveau projet de vie commun. Puis tout s’est dégradé. J’ai eu l’impression de la sentir de plus en plus distante, d’être le seul à m’évertuer pour que ça marche. Je n’étais pas particulièrement malheureux… mais je n’étais pas heureux. Je sentais comme une dissonance. Le jour où j’ai voulu lui en parler, elle ne m’a pas laissé commencer. Elle m’a annoncé qu’elle partait, à nouveau, et que je n’avais pas mon mot à dire. En dépit de sa promesse d’en parler en adulte, dans ce cas. J’aurais pu, j’aurais du le voir venir, mais le culot et la promesse rompue ont annihilé tout élan de tristesse en moi, remplacée par un rire cynique et une colère noire. Oui, de la colère. Un sentiment que je pensais avoir réussi à purger de moi il y a plus de dix ans, quelque chose que je n’avais plus ressenti depuis le lycée, mais dont visiblement quelques graines restaient planquées dans un coin de mon crâne, prêtes à germer. J’ai pourtant ravalé et mon rire, et ma colère, je n’ai pas dit grand chose, je n’avais plus rien à dire. Elle est repartie, emportant ses affaires et ses promesses, et me laissant seul avec son canapé offert, et la boîte aux lettres qui la narguait toujours avec son nom.

Les mois qui ont suivi ont été des montagnes russes émotionnelles. J’ai essayé de comprendre, j’ai arrêté d’essayer de comprendre. J’ai essayé de lui parler, j’ai essayé de l’ignorer. J’ai essayé de lui ouvrir ma porte, j’ai fermé ma porte à clef. J’aurais aimé qu’elle revienne, j’aurais aimé ne plus jamais la revoir. Je lui ai écrit ce que j’avais sur le coeur. Je ne sais toujours pas ce qu’elle a dans le sien. J’ai petit à petit arrêté d’attendre des réponses, ou d’espérer son retour. Mais il restait toujours son nom, sur la boite aux lettres.

En dépit de ce va-et-vient de sentiments, je n’avais pas perdu tout le travail que j’avais effectué sur moi quelques mois auparavant. J’étais blessé, et vexé, et en colère, et déçu, mais j’étais toujours DEBOUT, et la tête haute. Je me suis remis à sortir, j’ai étreint d’autres bras. J’ai revu la petite princesse, et cela a sans doute terminé d’achever mon deuil, même si là encore, cette histoire a fini par tourner au vinaigre. Puis la date administrative du divorce est tombée, et d’un mouvement du poignet, j’ai officialisé son désir de mettre un terme à notre histoire. Quelques secondes qui effacent plus de cinq ans d’illusions. Je suis rentré, accueilli par ma boite aux lettres, avec son nom dessus. Et j’ai éclaté de rire. Et j’ai pleuré. Et je me suis dit que j’allais devoir changer ça.

Alors je me suis dit que pour finir la catharsis, il fallait que ce changement de nom soit tout aussi officiel que ma signature sur les papiers du divorce. Et j’ai voulu l’officialiser ici, ma maison virtuelle, écho du changement de ma maison physique. Alors j’ai commencé à écrire cet article, fin décembre. J’en ai fait de nombreuses versions. Certaines avec beaucoup plus de détails. D’autres avec beaucoup moins. Pas particulièrement par pudeur, vous me connaissez, ma vie est un open-bar, mais plus pour elle. C’est mon ami Fred, que je ne remercierai jamais assez pour le surnom de SMEF qu’il lui a trouvé pour moi, qui a achevé de me convaincre il y a deux jours, en me disant qu’après tout je n’avais plus de comptes à lui rendre, qu’il était clair que j’avais besoin d’en parler, et que je devais aussi peut être un peu penser à moi, après avoir tant pensé à elle pendant toute cette pénible procédure. Alors j’ai grâce à lui écrit à nouveau cet article, dans une version épurée de tous détails intimes ou de références nominatives, et en ce mardi pluvieux, je suis enfin prêt à le publier, à tourner cette page finale, et à reprendre le cours normal de mes articles et de ma vie. Mais avant de cliquer sur « Publier », je me suis levé, je suis sorti, et j’ai fait quelque chose que j’aurais dû faire il y a plus d’un an:

Il n’y a plus son nom, sur la boite aux lettres.

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La citation du jour: « Oh je pense que je perd autant de poils/cheveux que ton chien »
La chanson du jour: Freebird, Lynyrd Skynyrd, « For I must be traveling on now ‘Cause there’s too many places I’ve got to see. »

Même si certaines cicatrices sont indélébiles, la vie est belle !