Oh, Internet, tu es coquin ce matin. Après que je me lève, tranquille, naïf, et sors mon ordinateur de son état de veille d’un élégant déplacement de Magic Mouse pendant que je sors du mien un café à la main, je tombe sur un article qui a bien failli me faire recracher ledit café. Ce qui, puisqu’il s’agit d’un excellent cappuccino préparé avec brio par ma nouvelle machine magique, aurait été fort contrariant, tu vois. Quel est donc cet article, me demande-tu, curieux lecteur, intriguée lectrice? Le « Top 10 des mots d’internet que vous allez oser dire en français » …

J’ai beau être un anglophile qui s’assume et qui le vit très bien, je n’en suis pas moins tout autant amoureux de la langue de Molière, et le moindre « voire même » ou « malgré que » dans vos propos me fait bondir aussi haut que quand je lis « their » au lieu de « they’re ». Nombreux sont ceux qui, parmi mes proches, me prennent d’ailleurs pour un « grammar nazi » ou un conservateur extrémiste de la langue. Ce n’est pas tout à fait faux, mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus. Le français (et l’anglais d’ailleurs) diffère du latin ou du grec ancien en ce sens qu’il s’agit d’une langue VIVANTE. Et qui donc évolue et change au rythme de la société qui la porte et l’utilise. Rien de mal là dedans. En revanche, je suis il est vrai conservateur dans ce sens qu’une évolution de la langue qui va dans un sens cherchant au contraire à l’appauvrir, à la simplifier inutilement, ou à la détruire sémantiquement parlant, est à mes yeux Le Mal ™ . Lorsqu’on crée un nouvel objet, un nouveau courant de pensée, une nouvelle habitude, ou que la science découvre de nouvelles choses, il est normal et essentiel de les nommer. Mais se reposer sur le côté vivant de la langue pour utiliser sans cesse le « plus petit dénominateur commun » cérébral et vivre avec 200 mots de vocabulaire, c’est non. Utiliser un mot à la mode pour lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire alors qu’il existe un autre mot pour désigner exactement ce qu’on veut lui faire dire, c’est non. Et si tu utilises encore « rapetisser » alors que tu as plus de 7 ans, prépares toi à sauter dans ta baffe.

Se pose alors le problème des barbarismes, néologismes, et autres emprunts d’une langue à une autre. C’est là que mon navire linguistique commence à nager en eaux troubles. Je me suis soigné depuis (ça n’a pas été simple), mais quand je suis tombé amoureux de la langue anglaise il y a une vingtaine d’années, ma surconsommation d’icelle a débordé dans ma pratique du français, et j’avais la fâcheuse tendance durant mes premières « années fac » à parler comme un étrange hybride, une sorte de Jean-Claude Van Damme distribuant des camouflets cyniques plutôt que des coups de pied retournés. J’ai depuis réussi à rebâtir un petit muret entre l’anglais et le français dans les sombres méandres de mon cerveau mais tu comprendras donc aisément, tolérant lecteur, aimable lectrice, qu’il me soit plus ardu de jeter la première pierre dans de telles conditions.

Arrive donc le sujet du jour, et ces dix « mots d’internet » que Le Gouvernement ™ nous encourage à franciser. Sur le papier, c’est typiquement le genre d’initiative que je pourrais accueillir bras ouverts, ou tout du moins avec un scepticisme prudent mais bienveillant. Après tout, nous sommes pile-poile dans l’une des zones d’évolution de langue que j’ai soulignées un peu plus haut. De nouvelles choses qu’il faut nommer.

SAUF QUE.

Sauf que c’est un peu tard, monsieur Gouvernement. Je sais que tu as fait tout ton possible sous les traits de France Telecom pour endiguer l’arrivée de la toile en France et préserver ton précieux Minitel, mais Internet, pour un large contingent d’ « early adopters » (tu préfères que je dise « parent adoptif précoce » ?) et d’informaticiens francophones dont je faisais partie, il est arrivé dans les années 90. Chez monsieur tout le monde, c’était au début des années 2000. En 2015, même madame Michu, retraitée de Bourgeoille-les-Maurilles, a très probablement une connexion internet. Il n’y a bien qu’en Meuse, dans les Vosges, ou à Montluçon, probablement, qu’on compte encore en pis de vaches plutôt qu’en Mb/s, et encore? Pas sûr. L’idée n’est pas bête sur le papier, Gouvernement, mais tu te réveilles un peu après la bataille, voire après la guerre. C’est bien gentil d’avoir un excellent tacticien chevalier qui vient donner des conseils pour gagner à coup sûr la bataille d’Azincourt, mais s’il arrive en 1435, vingt ans après la déculottée, ça ne sert à rien qu’à agacer ceux qui y étaient. Ce n’est pas vingt ans après que le monde francophone se mette à utiliser les termes anglais, faute d’une quelconque autre option, qu’il faut se réveiller. C’est TROP TARD. La langue, comme dit au dessus, est vivante, et ces usages sont déjà adoptés. À un moment il faut être bon joueur et le reconnaître, et ajouter les mots tel quel dans le dictionnaire de l’académie, parce que c’est une bataille qui va te demander une énergie folle pour rien, gouvernement, et que tu te bas contre des générations plus jeunes, dynamiques et réactives que toi, donc c’est un peu aussi fair-play et passionnant à regarder qu’un combat de catch entre The Rock et Woody Allen.

Tu veux un conseil, pour éviter un tel fiasco à l’avenir ? Embauche une paire de « d’jeun’s » rien que pour ça (en CDD de deux ans renouvelables une fois, avant de les remplacer par les prochains « d’jeun’s »), pour être à l’affut des nouvelles technologies, des innovations techniques, et pour pouvoir proposer un mot dès qu’elles apparaissent. C’est ta seule chance de combattre à armes égales. Quand un chercheur japonais aura perfectionné des nanobots qui se cachent dans ton cuir chevelu pour te coiffer aussi bien qu’un acteur d’Hollywood quand tu te lèves avec la tête dans le pâté le matin, c’est au moment où il est introduit qu’il faut que tu proposes ton « iTif » au lieu de son « iHair ». Pas 10 ans plus tard, quand tout le monde et son chien utilise déjà iHair dans le monde de la francophonie.

Et tant qu’on y est, emploies-en aussi quelques uns pour faire des suggestions de mots. Parce qu’indépendamment du fait que tu arrives après la guerre, non mais sérieusement, tu as regardé la gueule de tes suggestions? Juste pour rire, en tir rapide, pour ceux qui ont eu la flemme (ou peur !) de cliquer sur le lien au dessus:

1. Smiley ==> Frimousse / 2. Webcam ==> Cybercaméra / 3. Pop-up ==> Fenêtre intruse / 4. Hacker ==> Fouineur / 5. SPAM ==> Arrosage / 6. Mail ==> Courriel / 7. Bug ==> Bogue / 8. Chat ==> Dialogue en ligne / 9. Hashtag ==> Mot-dièse / 10. Cloud ==> Nuage

Y’a rien qui te choque, Gouvernement ? Nous vivons en 2015, bientôt 2016, au moment où j’écris ces lignes. Nous vivons dans un monde où la surcommunication est petit à petit en train de dépasser la surconsommation. Tout va vite, très vite, de plus en plus vite, nous somme dans le domaine de l’instantané, et de l’éphémère. Et toi, alors que les amoureux des lettres et langues à travers le monde ont déjà du mal à supplier les enfants, les ados, et les amateurs de télé-réalité d’utiliser « parce que » au lieu de « psk » ou « je t’aime » au lieu de « jtm », tu nous offres des suggestions de remplacement qui sont plus longues et pompeuses qu’un train de prostituées victoriennes? Sérieux, la moitié de tes suggestions rajoutent un nombre irréaliste de syllabes dans ce qui est censé être une communication brève et efficace. Essaie, juste pour rire. Je sais que tu fais peut être partie des 479 personnes encore répertoriées en France sans webcam, mais essaie de dire à haute voix « Attends, je branche la webcam ». Et maintenant, tu dis « Attends, je branche la cybercaméra ». T’as vu comme c’est plus long et désagréable en bouche? Et, sans déconner, « Cyber » ? En dépit de toute l’admiration sincère que je porte à cette artiste, même quand Zazie chantait qu’on était « Cyber », ce mot était déjà has-been. Et c’était en 1998…

Donc t’es gentil, Gouvernement, mais tu arrêtes, maintenant. STAHP. C’est mon devoir de te le dire, un peu comme quand tu vois ta meilleure pote sortir du pub en titubant, clef de voiture à la main, c’est ton devoir de lui piquer ses clefs. Là tu as déjà publié ton site ridicule, tu es déjà en train de rouler sur l’autoroute à contresens. Alors fais gaffe aux gens qui te font des grand signes, tu ralentis, tu te gares sur le bas côté, et tu dessaoules. Tu propose des jolies (et COURTES) alternatives francophones pour les prochaines innovations, et promis, on écoutera. En attendant, cesse de te battre contre des moulins à vent, et plutôt que de chercher à ce que les gens ne disent plus « SPAM » mais « Arrosage » (le fan des Monty Python en moi en pleure), envoie plutôt quelques crédits de plus à l’Éducation Nationale pour t’assurer que dans les collèges, on écrive « ne t’inquiètes pas » plutôt que « tkt », au moins sur papier, et qu’on continue à dire « croire » plutôt que « croiver », parce que ça je veux croire que c’est une bataille que tu peux encore gagner. Mais pas si tu ne te réveille qu’en 2035…

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La citation du jour: « Ben autant que le handicap social serve pour une fois ! »
La chanson du jour: Cyber, Zazie, « Cyber, et si fiers de ne plus être humains »

Même s’il faut attendre une semaine de plus pour quelques câlins, la vie est belle !