Le point de non-retour
A partir de quel moment sait-on précisément et indubitablement que quelqu’un nous plait ? Y’a t’il un déclic, un instant précis, une parole, un regard, ou un rire, peut être ? Qu’est-ce qui fait passer une personne du stade de l’inconnue au stade de la connaissance, de la connaissance à l’intérêt, de l’intérêt à l’attraction ? Comment, et quand, une personne en vient-elle à devenir actionnaire majoritaire des parts de marché de votre petit crane ? Et combien de temps dure la période de doute, entre le stade de certitude de ne pas désirer (consciemment ou pas) l’autre, et le stade de certitude de cette vive ardeur au creux du coeur et des reins ? Combien de temps dure t’elle, et somme toute, existe t’elle vraiment, ou le passage d’une certitude à l’autre est-il instantané ?
Où exactement se situe ce fameux point de non-retour, lorsqu’après avoir dévalé la colline en roulant dans l’herbe comme un gosse, en se disant « j’arrête quand je veux« , on se rends compte que l’on s’envole en chute libre vers l’issue inéluctable de cette dégringolade sans n’avoir plus ni impact ni prise ni emprise sur sa trajectoire ?
Je pense que ce point de non-retour est différent pour tout un chacun. Que nous avons tous nos garde-fous, nos pièges, et ceux dans lesquels on tombe inexorablement. Et quelle que soit la durée de cette vague période floue, nous avons tous un signal d’alarme qui nous préviens lorsque le point de non-retour a été franchi.
Pour moi, c’est quand le désir devient si intense, si brut, qu’il transcende même sa nature sexuelle pour devenir osmose. Lorsque mes fantasmes de corps à corps s’effacent un peu sur le tableau tendre de deux êtres assoupis. Lorsque la perspective d’un simple baiser d’une demoiselle particulière me fait plus frémir que celle de tourner avec elle un remake du dernier Rocco Siffreddi (si ça s’écrit pas comme ça, tant pis, vous voyez de qui je parle…) Lorsque que j’ai envie de l’avoir endormie au creux de mes bras, simplement, dormir, et veiller sur ses rêves comme Selene veille sur les miens.
Ce soir, nous n’avons pas refait le monde. Il est toujours aussi moche, et beau aussi, parfois. Nous n’avons pas été d’utilité publique. En fait, nous n’avons servi a rien. Mais nous êtions, elle et moi, ensemble, et à l’échelle de mon monde c’était toute une révolution. Ses yeux qui brillent en reflétant l’écran face à nous dans cette salle obscure, et nos rires qui explosent comme autant d’étoiles… Nous les avons d’ailleurs toutes volées. A la sortie, il n’y en avait plus une seule dans le ciel : beaucoup d’entre elles étaient dans mes yeux, et d’autres encore faisaient un tapage d’enfer dans mon coeur. Peut être elle aussi en a t’elle volé une poignée…
Le moment de se quitter et mes lèvres de s’écraser, lâchement, sur sa peau, proche de la commissure de ses lèvres, mais pas plus. Un petit signe de la main et chacun qui repart de son côté. Et la sensation de manque qui me prends soudain, comme une nouvelle drogue qu’on m’aurait retiré après m’y avoir accoutumé à mon insu, un désir incongru de ses lèvres et ses bras alors que je roule vers mes draps vides. Envie que comme dans le film on me propose une autre fin, demi tour droit vers elle et lui voler encore la comissure de ses lèvres, mais sans la comissure. Envie de ce demi tour sous la pluie. Envie de tout faire pour panser les blessures qu’elle m’a dévoilé, de lui dire que tout ira bien, et d’en être convaincu, simplement parce qu’elle existe. Et envie de la voir dormir. Alors, je sais que je sais qu’il est trop tard, et que le point de non-retour est franchi.
Je m’attache au petit renard comme un oeuf dans une poele sans Teflon, et le résultat du repas sera joué à quitte ou double quand il faudra servir. Et je t’entends d’ici, jeune lecteur, jolie lectrice, me dire de prendre du recul et de faire attention… Comme le disait la p’tite huitre, ce n’est pas parce que mon coeur est déjà en miettes qu’on ne peut pas trouver encore un bout quelque part à casser. Mais quand bien même, je m’en moque, et j’échange toutes les déchirures du monde contre ces rares instants de chute libre, le vent contre mon visage, et la caresse melliflue de mes pétales de sentiments naissants. Cette envie de me mettre à nu et de la regarder abattre un à un tous les murs derrière lesquels j’ai caché si mal ce coeur qui a eu si mal.
Quant aux deux, au fond, qui rigolent, et qui trouvent que ma vie devient plus incroyable qu’une vielle sitcom de chez AB-prod, ces deux là qui se moquent et me trouvent ridicule ou pathétique, qu’ils aillent se faire foutre…
Oui, je leur concède que je suis peut être un incurable rêveur, perdu entre mes draps froids, ridicule à vouloir ses lèvres plus fort que son sexe, oui, je suis certainement un lamentable cliché sur pattes. Peut être qu’ils ont raison, les deux rageux du fond. Mais je les emmerde.
Car moi, je suis vivant.
Et mon coeur regonflé jusqu’à la prochaine chute, ce coeur qui crie et qui chante et qui hurle et qui bat et qui saigne et qui vit, bordel, qui vit, mon coeur, donc, se remplit des étoiles que nous avons volé ce soir et flotte sur des courants doux-amers en comptant déjà les heures avant notre prochaine rencontre, et ce temps volé au temps. Quelle que soit la suite, quelles que soient les conséquences, juste pour ces grammes d’infinité au creux du marasme quotidien. L’éclat de son rire. Ses idées décalées. Et mon point de non retour…
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La citation du jour : « Elle me fait genre ‘Avec ton prof d’anglais ? Il va te donner des cours de langue ?’, elle m’a charrié quoi »
La chanson du jour : Love today, Mika, « Everybody’s gonna love today, gonna love today, gonna love today »
Même si le danger d’une chute libre grisante est d’oublier de sortir son parachute, la vie est belle !
Imprimer l'article | Cette entrée a été posté par Paul de Senquisse le 27 septembre 2007 à 0 h 54 min, et placée dans TotN. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0. Vous pouvez laisser une réponse, ou bien un trackback depuis votre site. |