Sans déconner, tu le fais exprès, monde de merde ?

Je reste silencieux pendant presque deux ans, je reviens timidement, et en moins de deux semaines tu me balances le gros évènement de merde qui tape pile là où ça fait mal dans mes valeurs et dans ce qui compte pour moi ? J’aurais tendance à dire, « vaut mieux en rire », mais curieusement, là, j’ai le sourire qui a du mal a venir.

Je n’ai jamais été un grand « fan » de Charlie Hebdo. J’aimais beaucoup Cabu, et avec Wolinski c’était un peu du pile ou face. J’ai acheté Charlie seulement une fois dans ma vie, il y a quelques années, quand ils avaient sorti leur numéro spécial Mahomet « Charia Hebdo », pour soutenir la démarche de liberté d’expression dans l’indignation générale, à l’époque, certains media et politiques qui affirmaient qu’ils feraient mieux de s’abstenir, à l’époque (les mêmes, avides de temps-caméra, qui sont des « fans de la première heure » depuis ce matin), et les menaces d’attentat, déjà à l’époque. Parce qu’en général quand on fait du bruit, dans les media, et qu’on cherche à limiter la liberté d’expression (déjà TRÈS limitée, en France, malheureusement, contrairement à ce qu’on croit… Il y a toujours quelques dizaines de livres interdits à la vente, chaque année, et depuis quelques mois le droit de censurer des pans du web sous décision de l’Intérieur, sans avoir à le justifier, à le faire valider par un juge, ou ne serait-ce qu’à publier la liste pour savoir ce qu’on nous interdit de voir, au cas où ça ne serait pas légitime… que du bonheur !) j’ai tendance à soutenir la démarche inverse, à mon échelle (oui je sais, fervent lecteur, admirative lectrice, on ne dirait pas comme ça, mais mon échelle est tout de même réduite).

Sauf qu’aujourd’hui, les menaces ont été mises à exécution, et des détraqués au cerveau trop mal lavé d’intégrisme plutôt que de raison et d’humanisme ont fait une descente à Charlie pour y descendre, justement, une bonne partie de l’équipe, et agents des forces de l’ordre cherchant à les protéger ou arrêter les coupables. Cabu, Charb… Y’a pas de mots, bordel. Un acte totalement stupide, qui ne sert à rien qu’à donner plus de visibilité à un message que les fanatiques voulaient taire, qu’à attirer la haine par effet de bord sur une minorité déjà bien malmenée chez nous, qui ne sert à rien qu’à faire souffrir, et à vouloir faire peur. Manque de bol, ça ne fera probablement peur qu’à ceux qui avaient déjà peur, ceux qui ont tout aussi peu de culture ou de jugeote et qui ont l’amalgame facile.

Dans un monde libre et sain, on devrait devoir pouvoir tout dire, même ce qui dérange et ce qui blesse. SURTOUT ce qui dérange et ce qui blesse, parce que ça pousse à se remettre en question, toujours, tout le temps. Quand on est gêné, blessé, ou pas d’accord avec une idée, on se contente de l’ignorer (il y a déjà plein de gens qui non-achetaient Charlie, c’est facile, il suffisait de se non-abonner ou de non-aller au buraliste du coin pour le non-choisir sur l’étalage), voire au mieux, si l’on est convaincu de sa propre bonne foi, on y répond avec une idée contraire mieux argumentée, et on la défend, debout, avec la même conviction que ceux de Charlie gardaient en eux. Face à ce genre d’étron fumant de l’actualité, il ne devrait y avoir qu’une seule réponse, un mouvement qui fait bloc, des gens qui se rassemblent, bras dessus bras dessous, qu’ils soient blancs, blacks, ou bronzés, catholiques, musulmans ou pastafariens, croyant, athées ou agnostiques. A la mémoire de journalistes, de dessinateurs et de policiers abattus par des zélotes qui préfèrent la violence au dialogue.

J’aimerais croire à une belle réponse collective de la France, comme celle de la Norvège après la fusillade d’Utøya : « Nous ne devons pas abandonner nos valeurs face au terrorisme. La réponse à la violence est encore plus d’ouverture, plus de démocratie, mais pas de naïveté. ». J’aimerais y croire, naif lecteur, espérante lectrice. J’aimerais y croire, mais le cynique amer misanthrope qui se cache au fond de moi et à tendance à pointer encore plus fort le bout de son nez face à ce genre d’évènements est plutôt convaincu qu’après les manifestations timides de ce soir, la réponse française sera plutôt un renforcement de la « sécurité », quelques militaires qui paradent en famas pour faire plaisir à mémé, quelques caméras de surveillance en plus, une loi votée en urgence saccageant encore un peu plus de nos libertés individuelles au profit d’une illusion de sécurité ne trompant que les plus naïfs (ou les fanatiques politiques, dont certains ont au moins autant de mauvaise foi et d’aveuglement que les fanatiques religieux ou les Apple-addict), une recrudescence des anti-muslim et des anti-roms (ouais, je sais, rien à voir, mais vous allez voir qu’ils vont nous trouver un lien, dans le PMU du coin), des prêcheurs du « c’est toujours les islamistes les terroristes » (depuis 2009, sur 109 attentats en France, il y en a 5 par des islamistes. Moins de 5%, donc, mais ce sont ceux dont les media parlent le plus et le plus longtemps, ça fait vendre, plus qu’un attentat en Corse ou dans le midi…), et encore 10% de plus à la France Marron-Marine à la prochaine élection. J’aimerais me tromper. Mais j’en doute. Il suffit de voir, déjà maintenant, les commentaires des courageux anonymes d’internet dans les commentaires des articles traitant de l’affaire sur le Point, le Figaro, et autres remugles électroniques cachant la lie de la population française, la France de la mesquinerie, du rejet, et de l’intolérance, cette France qui grandit un peu plus chaque jour, chaque fois que les journaux remuent la merde, chaque fois qu’un Cabu se fait fusiller. Cabu, putain… l’un des premiers souvenirs illustrés de mon enfance est le nez immense et pointu avec lequel il avait immortalisé Dorothée.

Je termine cet article avec une citation de l’une des victimes, Charb, en 2012: « Je suis sous protection policière depuis un an, depuis l’affaire “Charia Hebdo”. C’est lourd au quotidien, surtout à Paris, d’être sans arrêt sous surveillance. Mais je n’ai pas peur des représailles. Je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. ça fait sûrement un peu pompeux, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. » La vie l’aura pris au mot. Fauché, avec ses collègues, par la vague nauséabonde de l’illettrisme et de l’intégrisme vicieux qui se repaît des esprits faibles pour en faire des moutons à tuer.

Fauchés, certes, mais comme ils l’avaient voulu : debout.

*****

La citation du jour: « J’peux quand même pas pleurer devant ma fille… »
La chanson du jour: Mourir pour des Idées, Georges Brassens, « Des idées réclamant le fameux sacrifice, les sectes de tout poil en offrent des séquelles et la question se pose aux victimes novices : mourir pour des idées, c’est bien beau mais lesquelles ? Et comme toutes sont entre elles ressemblantes, quand il les voit venir, avec leur gros drapeau, le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau. Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente »

Même si c’est le genre d’article qu’on aimerait ne jamais avoir à écrire, la vie est belle !