Quel que soit le résultat du second tour de la présidentielle, demain 6 mai 2012, on pourra dire que cette élection aura marqué les esprits. Entre échanges plus ou moins musclés des militants de l’un et l’autre bord sur les réseaux sociaux, Twitter en tête, entre montages et vidéos diverses pour défendre son poulain (ça, c’était plutôt Facebook), l’élection aura également amené un sur-décryptage de chacun des meetings des candidats presque en temps réel, là où la télévision restait la source principale d’informations et d’analyses ne serait-ce qu’en 2007 pour la majorité des électeurs. On peut également dire que cette élection aura marqué un nouveau stade atteint dans les coups bas et les attaques déplacées sur les candidats, leur physique, leur famille, leur famille politique, leurs contacts, et leur passé, bref, tout plutôt que leur programme.

Vous le savez si vous me fréquentez dans « la vraie vie », sur Twitter, ou tout simplement si vous avez lu l’article Démocratie Imparfaite du 2 février ici même, pour le second tour de l’élection j’avais l’intention de m’abstenir, le vote blanc n’étant toujours pas plus reconnu dans le score final (et donne plus de boulot aux gens qui ouvrent les bulletins, pour rien), et refusant de choisir entre Charybde et Scylla, entre la peste et le choléra, entre celui qui allait ruiner la France et celui qui allait faire un Etat du tout sécuritaire à la limite du totalitarisme.

Sauf que ça, c’était avant. Avant le premier tour, donc, les quasi 20% du Front National (lamentable, mais peu étonnant), et surtout avant la modification d’entre deux tours du programme et du discours de Sarkozy. Voyant dans les voix du FN son seul espoir de victoire pour une élection considérée comme pliée par les media et les sondeurs, nous avons assisté sous les conseils de Patrick Buisson à une extrême-droitisation du candidat UMP. J’ai déjà dit ici maintes fois combien je trouvais qu’à part certains (Juppé, Barouin, Borloo…), beaucoup des cadres de l’UMP semblaient avoir oublié ce qu’étaient censées être les valeurs de la « droite » (= liberté individuelle comme valeur principale) pour faire leur contraire, le tout sécuritaire, quitte à ce que Benjamin Franklin se retourne dans sa tombe. Là, depuis le premier tour, meeting après meeting, discours après discours, Sarkozy s’est muté d’un candidat de « droite ayant oublié ce que sont les valeurs de droite » en candidat d’ « extrême droite s’étant trompé d’étiquette pour son parti ». Reprise verbatim de certaines théories développées par un dictateur allemand tristement célèbre du XXème siècle (la frontière comme « espace vital« , c’était à Longjumeau, quelques mois après avoir déclaré que « c’est par le travail qu’on devient libre« , paraphrasant la devise d’un camp bien connu dudit dictateur, ou faisant des meetings aux relents Pétainistes), des clips de campagne dont plus de la moitié du temps imparti est alloué à « y’a trop d’immigrés en France, on a accueilli trop de monde, on va diviser ça par 2 » (au karcher?), menace antieuropéenne de fermeture des frontières, amalgames indécents suggérant pendant le débat de mercredi dernier que tous les étrangers sont des musulmans et qu’ils sont dangereux, et le double langage d’une transparence insultante pour toute personne ayant plus de 2 de Q.I. consistant à dire qu’il n’y aura aucun accord avec le FN, tout en modifiant son programme pour y ajouter des mesures copiées collées mot pour mot du site de Marine Le Pen comme la présomption de légitime défense pour les policiers.

Jour après jour, on a vu les plus modérés de l’UMP (ceux qui devaient se souvenir qu’ils étaient de droite, malgré leur parti) devenir de plus en plus silencieux. Certains se sont même affirmés comme « dissidents », quitte à se faire remonter les bretelles en interne. Et jour après jour, le discours de l’actuel président se faisait de plus en plus dur. Aujourd’hui, à la veille du scrutin, il faut se rendre à l’évidence : le second tour ne sera pas un combat de la « droite » contre la gauche, mais bien un duel gauche/extrême droite, en dépit des étiquettes, triste miroir déformant de ce second tour de 2002. Face à cela, il n’y a pour moi aucun autre choix pour tout électeur de DROITE (et je dis bien de droite, pas « UMP »), démocrate et amoureux de liberté mais surtout d’un état républicain : se pincer le nez, et aller voter Hollande. Je comprends maintenant amèrement le sentiment qui a dû être celui des gens de gauche qui sont allés voter Chirac en 2002 pour faire barrage à Jean-Marie. La campagne de Sarkozy a été tellement odieuse qu’il mériterait un score tout aussi humiliant que celui de l’ex-leader du FN pour cette page sombre de l’histoire de France. Cela n’arrivera pas, malheureusement. Je me contenterai, je l’espère, d’une défaite.

Sarkozy récolte ce qu’il a semé. Je sais que je ne suis pas le seul qui, initialement décidé à s’abstenir (voire, pour d’autres, décidés à voter pour lui), a changé d’avis face à cette campagne nauséabonde, cette vague brune au sein du parti majoritaire, et a décidé d’aller voter contre. Car ne vous méprenez pas : je reste de droite. Je suis convaincu que la politique économique de Hollande va être une catastrophe pour le pays si elle est appliquée telle qu’elle est décrite dans son programme. Mais – et j’en suis le premier surpris – il semble qu’il me reste un minimum de morale humaniste personnelle au dessus de mon propre bon sens, car il y a des idées qui, remuées, sont tellement nocives et délétère que leur faire barrage justifie TOUS les sacrifices, même un risque de ruine économique pour le pays. En 1987, du temps du RPR, Michel Noir avait écrit dans Le Monde cette phrase célèbre : « Il vaut mieux perdre une élection que perdre son âme. » Comme l’a très bien souligné Renaud Dely dans le Nouvel Observateur, Sarkozy est en passe de réussir les deux. Il a trahi les siens et déshonoré toute une partie des gens de droite qui vont maintenant, par amalgame, se retrouver associés à ces idées puantes.

La leçon à tirer de tout cela est qu’il n’est pas forcément une bonne idée de se rouler dans la merde pour attirer ceux qui aiment voter pour des idées qui puent (car oui, il n’y a rien de plus nauséabond que le populisme du rejet de l’autre, de la politique du bouc émissaire, et du jeu de la peur des différences pour apparaître comme un sauveur). Même les soutiens traditionnels de la droite ont massivement fait bloc contre cette dérive, avec les interventions successives des deux têtes politique du centre-droite, Douste-Blazy et Bayrou. Face à ces déclarations, certains des petits soldats FN à l’étiquette UMP s’étonnent, s’en plaignent, et s’affirment scandalisés que Bayrou ait « viré à gauche ». Calcul politique ou aveuglement ? Il est évident qu’ils n’ont pas « viré à gauche » (Bayrou ayant même expliqué qu’il serait membre d’une opposition farouche à Hollande en cas d’élection) mais Sarkozy qui a viré tellement à l’extrême droite qu’il est devenu incompatible avec un vote républicain. J’aurais aimé voir Juppé faire une déclaration similaire à celle de Bayrou, se souvenant de la ligne de conduite morale exemplaire de Chirac vis à vis de la vague brune. J’avoue que son mutisme et son approbation tacite de cette ligne Sarkopeniste m’a beaucoup déçu, et j’ai maintenant du mal à continuer à le voir comme celui qui pourrait sauver la droite.

J’ai discuté avec beaucoup de militants UMP continuant à soutenir « visiblement » Sarkozy durant l’entre deux tours. Neuf sur dix en moyenne m’ont tous tenu le même discours en « off » : Sarkozy déconne, le virage extrême droite est puant, mais c’est « juste » stratégique, il ne peut pas gagner sans les voix du FN, c’est un mauvais moment à passer, de toutes façons il n’appliquera jamais cette politique, et c’est le seul moyen de sauver l’économie française. Peut-être, oui. Mais sauver l’économie ne justifie pas TOUS les sacrifices. Et quand bien même le président-bis Sarkozy serait différent du candidat-bis Sarkozy, rien que cette campagne, en cas de victoire, serait une approbation tacite des thèses nauséabondes du FN. Ce serait les justifier, voire les rendre légitimement moralement défendables, surtout aux yeux des militants les plus défavorisés, les moins éduqués et les plus malléables, les proies rêvées des populismes divers. Et rien que cette approbation tacite est déjà de trop, même si le contenu n’était jamais appliqué. Le mal est fait. Et il n’aura, probablement, servi à RIEN.

Bref, tout ça pour dire que demain, pour la première (et je l’espère la dernière) fois de ma vie d’électeur, je vais aller voter délibérément à gauche. Non, je ne suis pas un gauchiste. Oui, je suis de ceux qui sont convaincus qu’appliqué tel quel la politique économique de Hollande peut transformer la France en nouvelle économie grecque. Mais comme l’a dit avec brio Julien Crouzet (un autre militant UMP ayant choisi de dire non à la vague brune et d’appeler à voter Hollande demain), je préfère que la France devienne une autre Grèce plutôt qu’une autre Autriche. L’économie est capitale dans un pays. Mais pas au prix de son honneur, de sa morale, et d’une quelconque approbation du petit racisme ordinaire. Et puis soyons fous, espérons que ces 5 ans de gauche permetront au moins de faire quelques avancées essentielles que la droite semble trop frileuse (ou trop gangrénée par certains de ses conservateurs extrémistes du catholicisme comme religion d’Etat) pour prendre, comme le mariage gay, l’homo-parentalité, l’indépendance de la justice, le transfert du problèmes des stupéfiants du pénal à la santé publique. Et dans 5 ans, espérons, un retour a une vraie droite qui n’oublie pas que les seules frontières qui comptent sont les frontières de la morale humaniste sur lesquelles Sarkozy semble prompt à déféquer et pour lesquelles il ne veut pas abroger Schengen.

Gens de gauche ? (Si si, je sais qu’il y en a au moins deux qui me lisent) Ne croyez pas cette élection pliée. Ne faites pas l’erreur de sous estimer le racolage des idées nauséabondes. Demain, votez en masse pour votre poulain, ne restez pas chez vous en pensant que c’est de toutes façons gagné d’avance.

Gens de droite ? De la VRAIE droite ? Si vous vous rappelez que la droite, c’est la liberté individuelle, l’ouverture des frontières et des marchés, la tolérance plutôt que le rejet, alors demain vous ferez comme moi (et comme les gauchistes en 2002). On se met une pince à linge sur le nez, on se rappelle qu’il y a des valeurs morales sur lesquelles on REFUSE de s’assoir, et on met un bulletin Hollande dans l’enveloppe, pour faire barrage à la vague brune et à ce candidat désespéré et désespérant qui nous salit, nous injurie en se prétendant de droite et en défendant une politique d’extrême droite. On envoie un message fort aux acteurs de la droite républicaine que même nous, on ne mangera pas de ce pain là. Et pendant les cinq années qui vienne, on donne de la voix pour freiner Hollande (s’il est comme je l’espère élu) dans ses délires budgétaires, et on reconstruit une opposition forte, mais républicaine et PROPRE.

Gens d’extrême droite déguisés en gens de droite et portant une carte UMP ? Récoltez, je l’espère, les fruits de ce que vous avez semé. Vous avez perdu votre honneur et votre âme. Je n’ai jamais autant souhaité vous voir perdre l’élection.

J’espère que demain m’apportera cette victoire amère du candidat de gauche.

NON À LA VAGUE BRUNE.

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La citation du jour: « C’était entre le cul de la poule et la mimolette donc c’était difficile à retenir. »
La chanson du jour: Porcherie, Bérurier Noir, « La jeunesse emmerde le Front Nationale ! La jeunesse emmerde tous les Nazis ! »

Même si ça me fait un peu mal au cul d’aller voter délibérément à gauche demain, la vie est belle !