Si je n’ai jamais écrit d’article complet sur la thématique des travailleurs et travailleuses du sexe, j’ai déjà abordé le sujet ça et là au fil des ans sur le blog et dans les commentaires d’autres sites que j’ai pu fréquenter lorsqu’un article m’a fait réagir sur le sujet. J’ai toujours eu un profond respect et une grande admiration pour celles et ceux qui ont fait ce choix de carrière, qu’ils soient gogo dancers ou qu’elles soient escortes de luxe. Note : je parle bien des gens qui font ces métiers par choix, et pas des victimes de l’esclavage moderne et du recel de corps. Si la proportion de ceux et celles qui souffrent d’une telle situation est fort heureusement en baisse par rapport aux autres (surtout dû à l’augmentation de l’offre), ce n’est pas une raison pour ne plus les défendre.

Mais là n’est pas le sujet de cet article. J’ai tendance à être attristé (voire courroucé) par la législation française autour de cette thématique, notamment vis à vis de la prostitution. Il est possible d’argumenter que la France reste sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, l’un des pays les plus répressifs et aux lois les plus stupides parmi les pays dits développés. Et si les mentalités de l’opinion publique évoluent, si on entend même les media parler d’études sur les réouvertures de maisons closes, etc. en pratique la loi, elle, va en se durcissant et derrière les belles paroles et les classiques « oh les pauvres il faut les défendre » rend en pratique leur vie de plus en plus difficile (lois anti racolage et autre mesures augmentant la précarité des prostitué(e)s, diminuant leur sécurité physique, et n’étant au final qu’une politique de l’autruche. Comme je le dit souvent, ce n’est pas parce qu’on éteint la télévision quand les journaux parlent de la guerre qu’il y a soudainement la paix dans le monde).

L’un des aspects du Code Pénal n’ayant pas su, là encore, s’adapter à l’évolution du monde, est la loi sur le proxénétisme. L’élément déclencheur de cette réflexion et de cet article est un reportage déniché sur l’iPad par ma fiancée abordant de nombreux sujets sur le commerce du sexe. Dans l’un des reportages-dans-le-reportage, on y voit un gendarme tout fier d’expliquer que la loi a su s’adapter à l’ère numérique, et qu’aider la commercialisation du sexe sur Internet est aussi considéré comme proxénétisme maintenant. Il s’empresse alors de démontrer cette affirmation pour les caméras en arrêtant avec le même air tout fier un bonhomme cinquantenaire qui avait monté un site où les escortes pouvaient déposer leurs annonces pour trouver des clients.

Génial non ? Bin non, justement, c’est le genre de choses qui me met hors de moi. La loi contre le proxénétisme est une bonne chose dans le contexte de la prostitution de rue, principalement pour contrer les exploitants, les macs qui abusent de la fragilité des travailleurs et travailleuses du sexe pour s’accaparer une part (souvent indécente) de leurs revenus. C’est du racket, et ça, c’est bien qu’il y ait des lois contre. Mais là, on voit les limites de la loi mise dans les mains des pseudo moralisateurs à deux balles, et de son côté brute : une loi c’est une massue, pas un scalpel, donc il faut la cadrer très précisément pour éviter les débordements. Ici, toute personne aidant une prostituée ou lui fournissant un service dans le cadre de son travail est un proxénète. Créer un réseau social payant pour prostitué(e)s ? Proxénétisme. Leur créer un site web pour les aider à se présenter ? Proxénétisme. C’est quand même dingue, à l’heure du numérique, je trouve. On ne parle pas ici d’un individu louche et violant usant de force pour soutirer de l’argent à des personnes faibles, mais d’entrepreneurs offrant un service numérique qui ont le malheur soit de choisir le domaine du sexe pour se spécialiser, soit tout simplement de ne pas refuser un client juste en fonction de son métier (qui, rappelons le pour la prostitution, est un métier censé être légal en France, oui, je sais, on ne dirait pas…). Techniquement, même les associations de soutien aux prostitué(e)s qui leur distribuent des soupes sur les trottoir sont des proxénètes. Mais fort heureusement, ces associations ne sont pas poursuivies (en général), disposant d’une « immunité de bon sens »… mais le développeur web, lui, il n’a pas cette chance, même s’il aime beaucoup la soupe.

En quoi est-ce répréhensible de ne pas filtrer ses clients en fonction de leur activité, pour un entrepreneur ? En quoi est-ce répréhensible de ne pas admettre la discrimination de métier ? Sous des prétextes fallacieux de morale ? Il y a des dizaines de métiers qui méritent beaucoup moins de respect que celui ci, en tout cas à mes yeux. Et c’est encore une manière de chercher à faire disparaître du regard d’autrui la réalité du marché du sexe, méthode de l’autruche. Imaginez un peu s’il était interdit d’offrir des services d’hébergement ou de création de sites aux vendeurs de peluches, par exemple. Et si les contrevenants à cette interdiction allaient en prison ? Pour un créateur de sites, il n’y a pas de différence technique entre créer un site pour vendre des peluches et créer un site pour vendre des services intimes. Et pourtant, dans le second cas de figure, notre développeur devient un proxénète. Ce genre de raccourcis me met hors de moi, tant pour le développeur (qui doit donc potentiellement, pour rester en règle, refuser des clients juste au vu de leur activité, même lorsque cette activité est légale hein, on ne parle pas de sites de vente de cocaïne à prix de gros) que pour les travailleurs et travailleuses du sexe qui voient de facto diminuer leur capacité d’accéder à des services pouvant les aider dans leur travail, services accessibles légalement pour à peu près toutes les autres professions.

En conclusion, nous sommes là encore en présence de l’effet media, où on va claironner au nom de la morale et de la défense des faibles le vote de lois répressives, archaïques et surtout inefficaces. Non, pire qu’inefficaces : contre-productives. Ces lois censées défendre les faibles et les prostitué(e)s exploitées par autrui n’ont non seulement aucun effet dans ce sens (tout aussi inefficace que les listes noires de la LOPPSI pour stopper la pédopornographie) mais ont un effet délétère sur les conditions de travail et la vie de tous les jours de ceux et celles qui font ce métier par choix et qui, contrairement aux idées reçues, sont aujourd’hui majoritaires dans le milieu, une raison supplémentaire de les respecter puisque continuer à vouloir faire ce métier malgré les campagnes de peine de merde dans les media en France, cela demande beaucoup de courage.

*****

La citation du jour: « Changer une loi c’est ouvrir des portes »
La chanson du jour: Roxanne, Police, « Walk the streets for money, You don’t care if it’s wrong or if it’s right »

Même si je vais avoir un public funky en provenance des moteurs de recherche vu les mots clefs, la vie est belle !